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si spécial, cette réunion frappante de corps aussi dissemblables par leurs propriétés chimiques que le fluor, le bore, le silicium, le phosphore, l’arsenic, l’étain et le tungstène, avait porté, dès 1841, M. Daubrée à attribuer au fluor dans cette circonstance un rôle minéralisateur prépondérant et une puissance en quelque sorte créatrice. Le fluorure d’étain, stable aux températures élevées, serait arrivé des profondeurs en même temps que les composés qui partout l’accompagnent ; puis, par des décompositions qui auraient entraîné la disparition partielle du fluor en produits volatils, se seraient formés, à côté de la tourmaline et de la topaze, les cristaux adamantins d’oxyde d’étain. C’est une réaction analogue à celle qui, au milieu des laves du Puy de Dôme ou sur les pentes du Vésuve, a transformé les émanations volcaniques de chlorure de fer en paillettes étincelantes d’oligiste, ou qui, au voisinage du granité, a donné naissance à plus d’un gîte de fer spéculaire tel que ceux de Framont ou de l’île d’Elbe. Restait à vérifier par l’expérience le bien-fondé de cette hypothèse. Ne pouvant opérer aisément avec le fluorure d’étain, M. Daubrée a décomposé par la vapeur d’eau le bichlorure de ce métal. Le tube où s’opérait la réaction s’est recouvert sur toute sa périphérie de cristaux d’oxyde très adhérens, adamantins, rayant le verre, en tout comparables par l’ensemble de leurs propriétés à ceux de la nature. Non-seulement ces résultats justifient la théorie précitée des gîtes d’étain, mais l’étude correspondante des filons titanifères apporte, par analogie, une nouvelle confirmation expérimentale. Ce n’est pas tout : l’apatite, rare dans les filons concrétionnés et fréquente au contraire avec le spathfluor et l’oligiste dans les amas d’étain, a pu être obtenue artificiellement en petits cristaux : il a suffi de réaliser les conditions que la seule étude géologique avait suggérées, c’est-à-dire de faire réagir au rouge le perchlorure de phosphore sur la chaux caustique. Dans les mêmes conditions, le fluorure de silicium et l’alumine donnent un produit très voisin de la topaze, si souvent associée à l’étain et qui, d’après les travaux récens de M. Liversidge, forme à elle seule la gangue de ce métal dans les gîtes de la Nouvelle-Galles du Sud. En résumé, les amas de titane et d’étain qui, par la fixité de leurs élémens, semblent contredire toute idée de sublimation, sont fort comparables aux dépôts des chlorures volatils ; et le fluor, dont on a d’ailleurs constaté la présence dans quelques émanations volcaniques, a joué dans les périodes anciennes le rôle que le chlore remplit aujourd’hui avec une énergie bien affaiblie. C’est, pour le dire en passant, l’un des indices de cet appauvrissement chimique du globe dont parlait volontiers M. Élie de Beaumont.