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et un jeune garçon, tandis que, de l’autre côté, un homme richement vêtu à la mode du XVIe siècle et une jeune femme tout entière à la contemplation d’un collier de perles enroulé autour de son bras passent leur chemin, sourds à l’appel du divin mendiant.

« Qui donne aux pauvres, dit-on, prête à Dieu. » C’est de cette parole que Hesse s’est inspiré et aussi sans doute de ce verset de saint Mathieu : « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères, c’est à moi-même que vous l’avez fait ; » mais, pour traduire le tout, il n’a pas cru devoir s’astreindre à l’emploi exclusif de certaines formules hiératiques et se renfermer dans les limites que n’aurait pas manqué de s’imposer en pareil cas un florentin, disciple de Giotto ou contemporain de Jean de Fiesole. Il n’a pas voulu non plus ne voir dans un thème aussi essentiellement moral qu’un prétexte pour ces fantaisies pittoresques où se serait complu en parfaite sécurité de conscience un vénitien de l’école de Paul Véronèse. Enfin, quoiqu’il ait groupé auprès du Christ des paysans italiens tels qu’il les avait vus sur les bords de ce golfe de Naples dont les lignes servent de fond à la scène, il s’est bien gardé de donner à l’ensemble une physionomie toute moderne. Les personnages du tableau ne sont en réalité d’aucun temps, bien qu’ils portent des costumes qui rappelleraient; chacun une époque à peu près précise. Par cela seul que le peintre les a rapprochés, ils cessent d’appartenir à un pays ou à un siècle et ne représentent les uns que l’indifférence du mauvais riche pour ceux qui souffrent, les autres que la compassion chrétienne du pauvre pour un plus pauvre que lui. On pourrait dire également que l’exécution de ce tableau ne continue les traditions d’aucune école spéciale, ; mais qu’elle résume, en les combinant, différentes méthodes et les exemples de différens maîtres. Ici encore, comme dans l’ordonnance même du sujet, l’unité résulte de l’association d’élémens hétérogènes sinon contraires, et c’est en général cet éclectisme hardi, cette recherche sans préjugé du beau à tous ses degrés ou du vrai sous toutes ses formes qui fait le fond des doctrines de Hesse et constitue dans la pratique son originalité.

Objectera-t-on que le mot ne saurait s’appliquer à un talent aussi intrinsèquement érudit, à une intelligence aussi curieuse des informations que peuvent lui fournir les travaux ou les idées d’autrui? Sans doute Hesse n’est pas, dans le sens absolu du terme, un artiste créateur, un de ces hommes qui, par la seule puissance de leur sentiment ou de leur génie, trouvent le secret de renouveler l’art et d’en découvrir à nos regards une face imprévue; mais il ne suit pas de là que tout se borne chez lui à une habileté en quelque sorte impersonnelle. Si, dans plusieurs de ses œuvres, dans ses portraits