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III.

Les ouvrages qu’a laissés Alexandre Hesse peuvent se diviser en deux classes : l’une comprenant les tableaux que, pour emprunter un terme au langage musical, nous appellerons les tableaux de « demi-caractère, » c’est-à-dire ceux qui, par la signification presque anecdotique du sujet et par les formes tempérées du style, participent à la fois de la peinture d’histoire et de la peinture de genre ; l’autre se composant des travaux de peinture décorative successivement exécutés par l’artiste et presque tous sur des sujets religieux. De ces deux séries d’œuvres, la première, de beaucoup la plus nombreuse, est aussi celle qui, pour la plupart d’entre nous, semble constituer les principaux titres d’Alexandre Hesse ; en réalité, c’est la seconde qui honore le plus son talent et qui en démontre le mieux les aptitudes.

Sans doute, parmi les tableaux de genre historique produits dans notre école depuis un demi-siècle, plusieurs de ceux qu’a peints Alexandre Hesse méritent de figurer au premier rang. Non-seulement les Funérailles de Titien, mais la Mort de Henri IV, les Deux Foscari, la Mort du président Brisson, soutiendraient la comparaison avec les ouvrages les plus justement estimés de M. Robert-Fleury. Malgré ce qu’elles ont d’un peu apprêté dans l’ordonnance et d’un peu pesant dans l’effet, des scènes comme la Délivrance de Pisani, au musée du Luxembourg, et l’Adoption de Godefroy de Bouillon par Alexis Comnéne, au palais de Versailles, révèlent chez l’artiste qui les a traitées des ressources d’imagination et une science considérables; mais, quelque éloignée qu’elle soit du pédantisme, cette science ne laisse pas de paraître trop recherchée et, pour ainsi dire, trop voulue ; ces facultés d’invention, très personnelles au fond, semblent ne s’exercer qu’à la condition de se surveiller à l’excès. En un mot, ce qui manque aux tableaux que nous venons de rappeler et à ceux du même genre qu’a laissés Alexandre Hesse, c’est le charme que donne un certain laisser-aller dans les intentions comme dans l’exécution même, c’est l’agilité délicate de l’esprit et de la main.

Très différent en cela de quelques peintres contemporains, de Paul Delaroche par exemple, dont le talent se montrait d’autant plus à l’aise que le champ du travail était moins étendu, Hesse se sent en général plutôt gêné que secouru par les facilités que semble présenter et par les libertés que peut permettre ce qu’on appelle la peinture de chevalet. Ses plus petits tableaux, ses moindres esquisses même, sont traitées avec une telle crainte des