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macabre. Vous vous êtes demandé, — comme moi à l’occasion de mon anthrax, — si vous vous feriez tirer l’oreille pour prendre votre place dans le branle funèbre. Non dubitate, amico mio, vous serez fort et résigné devant la mort comme un homme dont l’existence aura été honorable et bien remplie. Je suis convaincu que de nous trois c’est X. qui partira avec le plus de regret, non certes qu’il ne soit aussi très honorable, mais il me semble qu’il dira : « C’était bon ! » tandis que vous direz : « Il y a quelque chose de meilleur. » Quant à moi, je ne sais ; peut-être dirai-je : « C’était fatigant ! »

Hesse toutefois, en quittant la vie, ne devait pas s’en tenir à cette parole ou plutôt à cette pensée de lassitude et de découragement. Quand le moment vint pour lui d’entrer dans ce repos qu’il avait envisagé surtout comme une délivrance des embarras et des luttes, il n’en était plus à n’y voir que cela. L’idée d’un commencement prévalait dans son âme sur l’aspiration à une fin, et la volonté qu’il exprima d’emporter dans le tombeau le crucifix devant lequel avait prié sa mère montre assez de quel côté étaient tournées ses espérances et sur quels souvenirs il les fondait.

Hesse mourut le 7 août 1879, quarante-six ans presque jour pour jour après la clôture de ce salon qui lui avait valu son premier succès, et d’où il était sorti avec une réputation déjà faite, avec un nom déjà célèbre. Depuis lors, on l’a vu, le souvenir traditionnellement évoqué de cet éclatant début n’avait pas laissé de maintenir à son égard le public dans une sorte de désenchantement et de convertir les témoignages successifs de ses efforts, les preuves de ses progrès même, en prétextes à des regrets un peu systématiques chez les uns, à des exigences un peu irréfléchies chez les autres. Maintenant que le tout appartient irrévocablement au passé et que l’usage d’en appeler de l’artiste à lui-même aurait moins que jamais sa raison d’être, le mieux est de chercher à apprécier ce qu’il a fait, sans perdre son temps à se demander pourquoi il n’a pas fait autre chose. Hesse n’a-t-il été, comme on a paru le croire, et ne doit-il rester pour nous que le peintre d’un seul tableau, — ou bien les œuvres qui ont suivi celle-là forment-elles un ensemble tel qu’elles caractérisent tout un talent, qu’elles en signalent les développemens et la marche ? Voilà ce qu’il convient de rechercher en dehors des préventions, involontaires ou non, d’une autre époque, et ce dont un coup d’œil jeté sur ces œuvres mêmes nous permettra facilement de juger.