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dramatique à l’intérêt que présente le sujet en lui-même ; mais nulle part cet élément tout moral ne tend à convertir en procédé littéraire le travail du pinceau, c’est-à-dire ce qui doit avoir pour objet l’image du beau et de la vérité visibles.

Les qualités particulières qui distinguent les peintures de la chapelle de Saint-Sulpice se retrouvent d’ailleurs, et sous des formes moins équivoques encore, dans une autre œuvre du même genre que Hesse fut peu après appelé à exécuter. La chapelle dont il a décoré les murs dans l’église de Saint-Gervais peut être considérée comme le meilleur spécimen, comme le témoignage le plus significatif de son talent, et ce ne sera pas exagérer la valeur d’un pareil ouvrage que de lui attribuer, malgré la différence évidente des moyens employés, un mérite presque égal à celui des plus belles peintures religieuses d’Hippolyte Flandrin.

Qu’on ne se scandalise pas, qu’on ne s’étonne même pas du rapprochement. Personne moins que nous ne songerait à contester au noble peintre du sanctuaire de Saint-Germain-des-Prés et de la frise de Saint-Vincent de Paul l’élévation du sentiment, la pureté du goût et, dans la pratique, la délicatesse savante de la manière; mais en raison de cette sérénité même, de cette onction si pénétrante du style, Flandrin réussit à charmer peu à peu notre intelligence ou à attendrir notre cœur plutôt qu’il ne nous conquiert de prime abord et de haute lutte. Avec plus de savoir et d’expérience, il est de la même famille que Jean de Fiésole et Lesueur. Le peintre de la chapelle de Saint-Gervais appartient à une autre race, non pas mieux inspirée assurément, mais, à certains égards, plus virile et plus robuste. Il y a quelque chose de la mâle raison de Poussin, sinon un souvenir de Corneille, dans la conception de la scène qui représente Saint Gervais et Saint Protais refusant de sacrifier aux idoles et, comme Polyeucte et Néarque, s’élançant au martyre la main dans la main. Celui qui écrit aujourd’hui ces lignes se rappelle encore l’effet que produisirent en 1866, sur la commission des beaux-arts, à l’Hôtel-de-Ville, les esquisses dessinées de cette belle composition et de deux autres pour la même chapelle: la Découverte par saint Ambroise des corps des deux jeunes martyrs et les Honneurs rendus à leurs restes par le peuple de Milan. Des artistes qui composaient alors cette commission et qui, presque tous, appartenaient à l’Académie des Beaux-Arts, pas un n’hésita à pressentir et à louer hautement d’avance l’heureuse issue d’une entreprise ainsi préparée : si bien que, la mort de M. Ingres étant venue, sur ces entrefaites, laisser vacante une place à l’Académie, Hesse fut appelé à l’occuper même avant d’avoir terminé le travail par lequel il devait surtout la mériter.