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Il n’est pas jusqu’à la présidence d’un maréchal de France qui n’ait servi cette république, en la représentant devant la France et devant l’Europe. Enfin, la fortune n’est-elle pas venue encore la rassurer, en faisant tragiquement disparaître un prétendant plus dangereux qu’on ne l’imaginait ? Voilà donc un gouvernement légalement établi, presque aussi populaire dans le pays que le fut l’empire, sans concurrence sérieuse de prétendans, sans opposition embarrassante de partis vaincus ou impuissans, dont toutes les classes, tous les ordres de notre société ne demandent pas mieux que de s’accommoder. Et c’est en pleine victoire électorale, en pleine paix sociale, quand il n’a plus d’ennemis à combattre, ni au dehors ni au dedans, que ce gouvernement juge à propos de s’agiter et d’agiter le pays, de se faire partout des ennemis de citoyens qui l’avaient accepté, et ne pensaient, les uns qu’à servir l’état fidèlement, comme les fonctionnaires de tout ordre, les autres qu’à remplir leur mission, comme les prêtres de toute congrégation! Est-ce donc une fatalité inévitable que le suicide pour le gouvernement républicain, et, quand de vieux et dévoués amis croient de leur devoir de l’avertir et de le conseiller, quand ils songent à lui réserver un moyen de salut, à lui ménager un asile contre la tempête populaire qui peut venir un jour, ne faut-il pas être étrangement possédé d’une idée fixe ou d’une ardente passion pour méconnaître la loyauté de leur conduite et la sincérité de leurs sentimens ? Il leur serait bien facile, à leur banc de députés, ou sur leur siège de sénateurs, de laisser les destins s’accomplir, fata ruant, et la république se précipiter vers sa ruine. Il leur resterait la consolation de dire à ceux qui l’auront perdue par leurs fautes et leurs violences : « Vous l’avez voulu. » Non, cela ne les consolerait point, et c’est ce qui fait qu’ils vont travailler à conjurer cette fatalité.

Voilà comment la constitution et l’organisation d’un parti libéral, sous le drapeau de la république, peut un jour sauver l’institution chère à toutes les fractions qui suivent ce drapeau. Ce parti ne tiendra pas tout entier dans les cadres du centre gauche, dont les élections de 1876 et de 1877 ont tant réduit le nombre et l’influence. Il ouvrira ses rangs à tous les groupes parlementaires, libéraux et conservateurs, qui acceptent la république et la constitution. Après l’établissement définitif de la république, on pouvait espérer qu’un grand parti de gouvernement, libéral et conservateur, se formerait sur le terrain de la constitution. L’union persistante des groupes de gauche et de droite n’a pas rendu possible ce résultat, au moins pour le présent. Un nouveau classement des partis ne s’est point opéré au sénat et à la chambre des députés. Chaque groupe ayant maintenu sa position, sinon son indépendance, il n’y a pas plus de majorité homogène de