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beaucoup d’Anglais, précédant les autres peuples, considèrent tout le globe comme leur patrie et passent l’été dans les Alpes, l’hiver à Nice, au Caire ou à Madère, choisissant le meilleur climat et les lieux les plus agréables ! Il n’y a point d’illusions à se faire. Nous dérivons vers le cosmopolitisme. Partout le patriotisme devient moins exclusif et par suite s’affaiblit. Que de gens sont déjà prêts à dire : Ubi bene, ibi patria! Mais si, par ce côté, l’Internationale s’inspire du mouvement économique actuel et si elle maudit la guerre entre les peuples, n’oublions pas qu’elle y substitue la lutte universelle du travail contre le capital. L’ennemi n’est plus l’étranger, c’est le patron, le chef d’industrie[1]. C’est pourquoi des effusions fraternelles qu’on dirait empruntées aux discours tout imprégnés de christianisme des congrès de la paix, sont souvent accompagnées de paroles de haine et de fureur qui font penser aux chants de mort des cannibales.

Quel fut le rôle de l’Internationale dans la révolution du 18 mars? M. de Molinari, qui a suivi de près le mouvement socialiste à Paris, affirme que l’association, comme telle, n’y a pris aucune part[2]

  1. Citons un extrait qui fera bien saisir cette nuance: « Patrie. Humanité. la patrie un mot, une erreur! L’humanité, un fait, une vérité. Inventée par les prêtres et les rois, comme le mythe Dieu, la patrie n’a jamais servi qu’à parquer la bestialité humaine dans des limites étroites, distinctes, où directement, sous la main des maîtres, on la tondait et la saignait, pour le plus grand profit de ceux-ci et au nom de l’immonde fétiche.
    « Aujourd’hui c’en est assez. Les peuples sont frères. Les rois et leurs valets sont les seuls ennemis. Assez de sang, assez d’imbécillité. Peuples, les patries ne sont plus que des mots. La France est morte. L’humanité la remplace. L’utopie d’Anacharsis Clootz devient vérité. La nationalité, résultat de la naissance, est un mal. Détruisons-le. Naître ici ou là, seul fait du hasard des circonstances, nous fait amis ou ennemis. Répudions cette loterie stupide dont nous avons été jusqu’ici les dindons. Que la patrie ne soit plus qu’une classification administrative. Notre patrie est partout où l’on vit libre, où l’on travaille. Peuples, travailleurs, la lumière se fait. Que notre aveuglement cesse! Sus aux despotes ! plus de tyrans ! La France est morte. Vive l’humanité ! (Jules Nostag, alias Ruffier.) (Dans la Révolution politique et sociale. 16 avril 1871.)
  2. Le Mouvement socialiste et les réunions publiques, par M. de Molinari, p. 205. Nous trouvons la confirmation de l’opinion de M. Molinari dans une très curieuse brochure publiée à Londres en 1872, par les réfugiés de la commune, Arnauld, Cournet, Dereure, Ranvier et Vaillant. C’est un acte d’accusation contre l’Internationale : « On croyait l’Internationale puissante parce qu’on croyait qu’elle représentait la révolution. Elle se montra timide, divisée, parlementaire... Sa constitution, le mode de détermination de son action par congrès de délégués en ont fait une institution plus parlementaire qu’agissante... Crainte de devenir communense, elle s’est suicidée... Jusqu’ici, malgré manifestes et déclarations, les diverses branches de l’Internationale se sont prudemment abstenues de la lutte armée. C’est individuellement que quelques-uns de ses adhérens se sont mêlés aux combattans. » Il est à noter que les auteurs de cette brochure s’intitulent : ex-membres du conseil général de l’Internationale. Un socialiste italien, O. Gnocchi-Viani, auteur du livre le Tre Internationale, a publié une brochure intitulée : l’Internationale nella comune di Parigi, Milano, 1879, dans laquelle il prouve l’hostilité qui régnait entre l’Internationale et la commune.