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le capitalisme et le salariat, comme dans nos pays occidentaux. On peut le regretter, mais non le nier : les tendances actuelles semblent mortelles pour les communautés rurales. Elles ne durent que quand elles s’appuient sur un sentiment religieux très exalté, comme à Oneida ou à la Trappe.

Pendant l’année 1869, l’Internationale s’étendit avec une rapidité inouïe. Une grande fermentation s’était emparée de la classe ouvrière dans toute l’Europe et principalement en France, où lors des élections du mois de mai le gouvernement, sans doute pour effrayer et se ramener la bourgeoisie, avait laissé liberté complète aux violences de langage des clubs. Des grèves eurent lieu dans toute l’Europe et dans plusieurs localités, notamment à Seraing, en Belgique et au Creuset, en France, elles aboutirent à des échauffourées où le sang coula. Toutes les grèves amenaient des recrues à l’Internationale, parce qu’on espérait en recevoir des secours. D’ordinaire ils n’arrivaient pas, car la grande association n’était pas riche. Mais dans ces premiers temps de ferveur on croyait à sa puissance, et elle amenait les patrons à des concessions, comme si elle eût été réelle. On voit clairement comment se faisaient les adhésions dans la réponse de l’accusé Bastin, lors du procès de mai 1870. « Je suis inculpé, dit-il au président, de faire partie d’une société secrète. Je le nie formellement. Je suis, il est vrai, membre de l’Internationale; mais elle n’est pas une société secrète. Voici en quelles circonstances j’y ai adhéré. Au moment de la grève des fondeurs en fer, dans une réunion, un de nos amis nous dit : « Nous sommes constitués en société de résistance, mais nous avons autre chose à faire : ce serait d’adhérer à l’Internationale. » Cet ami nous donna lecture des statuts. Nous reconnûmes qu’ils étaient bons et qu’il n’y avait pas d’inconvénient à y adhérer. Un vote eut lieu, et nous sommes douze cents qui adhérons à l’Internationale. » Un autre accusé, Duval, le futur général de la commune, rapporte un fait identique : « Trente-six de nos patrons sur quarante-sept refusèrent. Plusieurs d’entre eux répondirent : « Nous attendrons que vous ayez faim. » Devant tant de mépris, l’assemblée suivante vota et signa la grève à outrance. On jura sur l’honneur de ne pas reprendre le travail avant qu’on eût admis nos réclamations. La proposition fut faite par moi d’adhérer à l’Internationale. Huit ou neuf cents membres présens adhérèrent en bloc, signèrent leur adhésion séance tenante et nommèrent immédiatement quatre délégués pour les représenter au conseil fédéral parisien. »

Au mois de juillet 1869, les ovalistes de Lyon se mettent en grève. Les membres de la commission des grévistes écrivent au conseil général de Londres, « qu’ils déclarent adhérer à l’Internationale en leur nom et au nom des huit mille membres qui composent la corporation. »