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dire que c’est celle-là qui a dominé. C’est ce qui explique son hésitation et, en somme, son inaction en fait de réformes sociales. Quand on croit que l’état a pour mission de modeler la société d’après un certain idéal de justice, on fait une révolution et on installe un bon comité de salut public, qui tranche, ampute et légifère sans merci, de façon à donner au corps social la forme voulue. Mais quand, comme les internationaux subissant l’influence du positivisme et des méthodes des sciences naturelles, on admet que les transformations s’opèrent par l’effet des « nécessités sociales » et de « l’évolution économique » au sein des communes libres et des groupes autonomes, on est logiquement réduit à l’impuissance. Pourquoi intervenir dans l’action des « lois naturelles? » Il ne reste tout au plus qu’à « flamber » les villes pour simplifier la question.

Le congrès de Bruxelles est celui qui a exposé avec le plus de développement le programme économique de l’Internationale. Arrêtons-nous un instant afin de l’examiner de plus près. La terre, affirme-t-il, doit appartenir à «la collectivité. » Que signifie ce mot? Puisque la division eu états doit disparaître, il veut dire probablement « la collectivité humaine, » l’humanité tout entière. Je serai donc co-propriétaire des terres des Zoulous et des Esquimaux, comme ils le seront du champ que je cultive. Le dominium de l’humanité sera-t-il nominal comme celui que le roi possède encore en Angleterre sur tout le sol des îles Britanniques? Dans ce cas, c’est tout simplement la situation actuelle fondée sur une fiction. Le dominium sera-t-il, au contraire, effectif avec perception du revenu et choix de l’occupant? On aboutit alors à une conception à peine intelligible et absolument inexécutable. Quand on lit l’exposé des motifs des rapporteurs, on constate qu’ils ne savent à quel parti s’arrêter. Qui disposera des terres, le genre humain, l’état, la commune ou l’association coopérative agricole? On ne nous dit rien de précis à ce sujet. La rente sera-t-elle abolie ? Il le semble; mais alors quelle inégalité entre ceux qui pour un même travail obtiennent d’une terre fertile 30 hectolitres de froment et ceux qui ne tirent d’un sol rebelle que 15 hectolitres de seigle! D’ailleurs attribuez la propriété à la collectivité quelle qu’elle soit, et vous n’aurez ainsi assuré ni la justice, ni l’égalité, ni la félicité pour tous. — L’économiste ne peut pas, comme le physicien, contrôler le mérite de ses conceptions par des expériences de laboratoire, mais il peut juger de l’effet de certaines institutions par les études de législation comparée. Il est des pays où le régime préconisé par le congrès de Bruxelles se trouve en vigueur. Aux Indes, dans certaines provinces, et en Égypte, le sol appartient vraiment à l’état, car il en touche le produit net. En Italie, la réforme est aussi à moitié accomplie, car l’état, les provinces et la commune prélèvent par l’impôt 30, 40 et même 50 pour