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Ainsi l’Allemagne enlève à l’argent son rôle de monnaie libératoire, et aussitôt le mineur des Montagnes-Rocheuses voit diminuer la valeur de son produit, l’officier anglais campé dans l’Himalaya ne peut plus envoyer ses économies à Londres sans subir une perte énorme, et le commerce de l’Angleterre avec l’Inde et l’Amérique méridionale est profondément troublé. L’esprit d’entreprise se réveille aux États-Unis, et à l’instant, malgré une détestable récolte, l’industrie européenne se ranime, les prix montent, les usines qui chômaient reprennent le travail, et la crise qui, depuis cinq ans, paralysait la production, fait place à une ère nouvelle d’activité et de prospérité. Quand les différens peuples tendent à ne plus faire qu’une seule famille, il doit s’ensuivre que toutes les manifestations de l’activité sociale revêtent un caractère international.


I.

Voici l’enchaînement de faits et de déductions qui a donné naissance à l’Internationale. Grâce au bon marché des transports et à la diminution des droits de douane, les pays de l’Occident ne forment plus qu’un seul marché sur lequel les prix se nivellent à peu près sous l’action de la concurrence. La production se fait dans des conditions très semblables : mêmes procédés, mêmes machines, mêmes matières premières. Ce n’est donc qu’en réduisant le taux des salaires qu’on peut diminuer le prix de revient. Le fabricant y est naturellement porté, afin de conquérir des débouchés à l’extérieur. Mais alors les industriels que menace l’importation de marchandises étrangères sont obligés à leur tour d’abaisser le prix de la main-d’œuvre, sinon ils perdraient leur clientèle et devraient cesser de travailler. C’est en vain que les ouvriers essaieraient de résister par la coalition et la grève. Le fabricant leur tiendrait ce raisonnement irréfutable : Si je ne réduis pas les salaires, il arrivera de deux choses l’une : ou je maintiendrai le prix de vente de mes marchandises, et dans ce cas je n’en vendrai plus, puisque mes concurrens qui paient un salaire moins élevé peuvent les offrir à meilleur compte, ou bien je baisserai mes prix, et alors je serai en perte et je mangerai peu à peu mon capital, jusqu’à ce que, ruiné, je n’aie plus qu’à fermer mon usine. Où alors trouverez-vous de l’ouvrage? Je suis donc forcé, bien malgré moi, de réduire la main-d’œuvre au taux payé par mes concurrens. La conclusion à tirer de ce discours, c’est que, pour résister à une diminution des salaires, les ouvriers seront portés à s’entendre avec ceux des autres pays. C’est au point de départ de la réduction qu’il faut s’opposer, et s’il est placé à l’étranger, c’est à l’étranger qu’il faudra organiser la résistance. On voit clairement comment le cosmopolitisme du capital, la facilité des