Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/261

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— et son esprit, dégagé de tout scepticisme et de toute souillure, finit par s’élever jusqu’au paradis et par y contempler en face les vérités les plus sublimes.

Il y a bien de l’originalité à coup sûr, et même du piquant, à nous présenter ainsi Alighieri comme le Faust ou le Manfred du moyen âge, — un Faust certes réconcilié, un Manfred finalement repenti, mais toujours un de ces « démons du doute, » ainsi que les appelait Goethe, et que la poésie moderne semblait seule jusque-là avoir eu le privilège de créer. L’hypothèse de M. Witte a le séduisant attrait de beaucoup rapprocher de nous le « poème sacré, » d’en faire le commentaire et la glose de nos propres destinées. Car croire d’abord d’une croyance naïve et pure, et se ressouvenir toujours avec regret, avec douleur, — comme Faust au son des cloches de sa paroisse, — de la douce foi de l’enfance; puis, comme ce Faust aussi, se jeter dans la science, vouloir saisir l’essence de la création, vouloir approfondir les lois de l’univers et de la société humaine, et étudier, hélas ! la philosophie...; reconnaître ensuite, connue Faust, qu’on ne sait rien, que le savoir ne mène ni à la vérité ni au bonheur; se dire, comme Manfred, « que l’arbre de la science n’est pas l’arbre de la vie..; » enfin, désenchanté et meurtri, épuisé de la lutte et doutant même du doute, se rejeter dans la foi, dans une foi ancienne ou nouvelle, mais qui nous épargne de penser et de scruter la fatale énigme et nous donne un dogme au lieu d’un problème... n’est-ce pas là, en effet, l’histoire de plus d’un parmi nous, n’est-ce pas même là, à peu près, l’histoire générale de notre époque? Eh bien ! cette histoire, nous la reconnaissons tout entière dans la trilogie dantesque de M. Witte. La Divine Comédie notamment, c’est notre propre chronique, un palimpseste au rebours, dont il suffirait d’enlever seulement l’ancienne couche scolastique pour y découvrir une écriture moderne, les mêmes caractères qui sont tracés en lettres de feu, de sang et de larmes sur le livre déchiré, de notre cœur, — et la tragédie de Dante serait ainsi toute trouvée...


LA COMTESSE. — C’est vrai ! Et pourquoi répudieriez-vous une explication aussi belle, aussi magnifique?

LE PRINCE SILVIO. — C’est que je crains, je suis sûr plutôt, qu’en argumentant ainsi nous ne faisons qu’attribuer au Florentin du XIVe siècle des idées et des sentimens qui, en réalité, n’appartiennent qu’à notre époque. Nous sommes habitués, nous, à considérer la raison comme l’opposé de la foi, à regarder la philosophie comme l’ennemie déclarée, ou tout au moins comme l’amie