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l’histoire de la foi naïve d’abord, puis de l’apostasie et du doute, et enfin du retour à la foi, retour plein d’épreuves et de pénitence. La Vita nuova représenterait la première époque du poète, — époque d’une croyance enfantine et pure, pleine d’amour et d’insouciance, à l’abri de l’examen et des poignans soucis de la réflexion, — et qui prit fin avec la mort de Béatrice. A partir de ce moment, pense M. Witte, Dante eut l’âme envahie par la tristesse et l’abattement; sa confiance dans la bonté, dans la miséricorde de Dieu fut ébranlée par la base, et il ne trouva plus de consolation que dans la science, dans le savoir humain. Ne déclare-t-il pas lui-même dans le Convito que c’est bien la philosophie qui fut pour lui alors la véritable « dame compatissante, » celle qui a calmé son désespoir au point de le rendre presque infidèle au souvenir de Béatrice? C’est précisément le Convito, — ouvrage inachevé, où, sous forme de commentaire à ses canzones, l’auteur s’était proposé de donner une sorte d’encyclopédie de toute la science scolastique, — qui marquerait cette seconde phase dans le développement moral et intellectuel du poète. «La philosophie, dit Alighieri dans le Convito, est la véritable félicité de notre âme; elle nous sauve de la mort, de l’ignorance, et guérit nos passions. Quiconque veut voir son salut, que celui-là regarde dans les yeux de cette dame qui est l’épouse de l’empereur du ciel, sa sœur et sa fille chérie... » Mais la sagesse humaine n’est qu’humaine, et après nous avoir bercés quelque temps dans de vains rêves, elle finit par nous abandonner à tous les déchiremens et à toutes les angoisses de l’incertitude. Ces doutes, ces douleurs et ces angoisses, prétend M. Witie, ne furent pas épargnés à l’auteur du Convito, et c’est cette période de sa vie spirituelle que Dante nous aurait retracée dans les premiers chants de son troisième ouvrage poétique, la Divine Comédie. La forêt « obscure, âpre et épaisse, dont le souvenir est plus amer que la mort, » et où le poète s’est trouvé « au milieu du chemin de notre vie, » désignerait cette époque d’aberration, et l’Enfer dans son ensemble ne serait que le symbole de toutes les mauvaises passions que le penseur aurait éprouvées en son âme troublée, alors que, renonçant à la grande révélation d’en haut, il n’avait plus pour guide que la seule raison humaine. Il fut toutefois donne à Dante de reconnaître ses égaremens et d’en sortir triomphant. Dès le commencement de son mystique pèlerinage, nous le voyons déjà repentant et cherchant par des humiliations et des expiations, le retour sur « la voie droite, » sur le chemin du salut. Ainsi préparé à ne plus attendre du savoir terrestre cette lumière que la grâce divine seule peut apporter à l’homme, il ne tarde pas à gravir le sommet du purgatoire, à y retrouver sa Béatrice, — la foi ancienne.