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qui n’est peut-être pas au bout de ses épreuves. Il n’y a que vingt ans à peine que l’Italie existe officiellement, et déjà que de choses sont changées! Des hommes qui, dans cet avènement d’une nation nouvelle ont été les ouvriers sérieux et illustres de la première heure, la plupart ont disparu. Ils appartiennent à un autre temps, et dans ce passé qui semble lointain, tant les événemens se sont pressés, une des figures les plus expressives est assurément celle que M. Giuseppe Massari vient de faire revivre dans une étude substantielle et animée sur le général Alfonso La Marmara. C’est de l’histoire mêlée de souvenirs intimes.

Celui-là aussi, avec Cavour, avec d’Azeglio, était un des premiers serviteurs de l’œuvre nationale. Il l’a été dans la mesure de son caractère, avec son énergique droiture de soldat, avec son intégrité d’homme public, avec sa loyauté indépendante de vieux Piémontais. Il était né au commencement du siècle, en 1804, d’une famille primitivement originaire de Florence, et depuis longtemps transportée à Biella, dans le Piémont. Il avait pour ainsi dire dans le sang l’attachement à la maison de Savoie et la vocation militaire. Au commencement de la guerre de 1848, il n’était encore que major d’artillerie. Il se révélait aussitôt avec sa forte nature de soldat dévoué aux revendications nationales et au prince qui, à ses yeux, représentait la patrie. Il se signalait comme le ministre de la guerre dont Cavour allait avoir besoin pour l’accomplissement de ses desseins. Entre ces deux hommes, différens de caractère, mais unis de cœur, il y avait une complète intimité : ils n’avaient rien de caché l’un pour l’autre. Dans l’œuvre commune, Cavour était la tête inventive, le politique ; La Marmora était le réorganisateur de l’armée, le chef naturel du petit corps piémontais envoyé en Crimée, comme il était bientôt, en 1859, le premier lieutenant de Victor-Emmanuel dans la guerre de l’indépendance. Il était un de ces hommes sur qui Victor-Emmanuel pouvait toujours compter, surtout aux heures critiques, et c’est ce qui explique comment, avant et après la mort de Cavour, en 1859, en 186Z), en 1866, La Marmora s’est trouvé chargé, comme président du conseil, des missions les plus difficiles. M. Massari retrace cette carrière de soldat-politique avec autant d’intérêt que de fidélité, et il y a dans son livre plus d’une révélation curieuse. Ainsi, d’une lettre publiée pour la première fois aujourd’hui, écrite par Cavour à La Marmora en quittant Plombières en 1858, il résulte que l’empereur livrait dès ce moment « les Légations et les Marches » au nouveau royaume à fonder. Peut-être se souvient-on d’un discours par lequel Victor-Emmanuel donnait presque le signal de la guerre aux premiers jours de 1859. Ce discours avait été envoyé aux Tuileries; Napoléon III prétendait qu’il avait trouvé quelques phrases « trop fortes, » et ce bizarre souverain substituait tout simplement à des paroles qu’il trouvait « trop forces, » qu’il assurait vouloir adoucir, des