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ne fait pas un gouvernement, on n’a pas le régime parlementaire, on n’a tout au plus que les inconvéniens de ce régime sans en avoir les avantages. — Comment enfin la gauche et l’union républicaine entendent-elles cette stabilité, cet ordre, cet apaisement, ces conditions de gouvernement régulier dont elles parlent sans cesse ? Il faut prendre les choses dans leur réalité ! Les paroles ne sont que des paroles. Les programmes qui se déroulent tous les jours, qui se traduisent par les actes, par les faits, sont plus éloquens et surtout plus significatifs que les discours.

Qu’on réunisse tout ce que la gauche et l’union républicaine proposent ou défendent, tout ce qu’elle mettent dans leurs programmes pratiques. L’amnistie, par exemple, malgré ce qu’a dit M. le président du conseil, l’amnistie n’est point abandonnée. L’union la réserve dans ses manifestes, et par une coïncidence singulière, la gauche qui ne l’admet pas choisit justement pour président un de ses membres qui l’a soutenue, qui avoue encore ses sympathies pour cette mesure « d’apaisement.» L’amnistie reste visiblement une arme dont on pourra se servir un jour ou l’autre. L’article 7 des lois de M. Jules Ferry, la « guerre au cléricalisme » est plus que jamais, bien entendu, une des formules sacrées de la politique républicaine. La révolution dans la magistrature par la suspension de l’inamovibilité n’est pas poursuivie avec moins d’acharnement, et la commission parlementaire qui a toute sorte de propositions à examiner, est dans les meilleures dispositions pour tout bouleverser sans admettre même les plus légers palliatifs. L’antipathie contre la magistrature, la guerre à l’inamovibilité, c’est aussi un article de foi dans certaines régions de la majorité républicaine. Quant aux épurations administratives, aux coupes sombres dans le personnel des fonctionnaires, c’est là depuis longtemps un point sur lequel on ne varie pas. La révocation à outrance est pour les orthodoxes la plus belle prérogative du pouvoir ! C’est ainsi qu’on croit faire du gouvernement et qu’on travaille à l’affermissement des institutions, à la fondation d’un régime régulier et durable. En d’autres termes, ce qu’on appelle dans les programmes l’ordre, la stabilité, c’est en fait la menace d’agitations nouvelles par des propositions d’amnistie en perspective, la division des esprits et des consciences par la guerre aux influences religieuses, le trouble dans l’ordre judiciaire par des réformes désorganisatrices, l’affaiblissement de tous les ressorts administratifs par la révocation érigée en système. C’est là ce qu’on appelle gravement « la liberté dans l’ordre, et la conservation par le progrès. »

Singulière politique, on en conviendra, pour des hommes, pour des partis qui reconnaissent qu’ils ont beaucoup à faire, ils l’avouent, pour adapter un régime toujours difficile par lui-même, aux instincts, aux mœurs, aux traditions, au tempérament du pays ! Les paroles prononcées dans une réunion peuvent être sincères, les intentions peuvent être bonnes, nous ne les discutons pas : les faits jurent avec les intentions