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voulant faire grand, n’a pas osé faire simple, — et ce qui sauve malgré tout cette comédie, ce qui en rend la représentation par momens très agréable, ce sont précisément ces scènes épisodiques dont nous avons dit qu’il les avait comme esquissées dans la marge de sa comédie. Tout autour de l’intrigue principale, comme une fraîche guirlande, s’enroule une délicate idylle entre la sœur de Léa et un jeune oisif qu’elle transforme petit à petit en un sérieux et tendre fiancé. Il y avait là de quoi nourrir un bien joli acte à la Marivaux, d’un charme à la fois spirituel et sentimental. Entre temps, M. Sardou burine aussi quelques très heureuses caricatures. Telle est celle du médecin Bidache, destiné, comme le Homais de M. Gustave Flaubert, à symboliser la bêtise du faux savant, qui, pour employer la formule connue, « mange du prêtre » le matin et « soupe du jésuite » le soir. Le plus plaisant de cette caricature est que M. Sardou n’ait pas compris que tout le ridicule du docteur Bidache retombait sur son ami Rochat, lequel n’a pas une idée de plus que ce fantoche, et se contente d’exprimer plus correctement les mêmes sottises ! — La charge du radicalisme à la mode n’en est pas moins excellente, et ce nous est une occasion de plus de conclure, comme nous avions commencé, que cette leçon, si dure soit-elle, ne prouve rien contre le talent de M. Victorien Sardou, qui a pu se méprendre sur les conditions d’une œuvre très en dehors de sa manière habituelle, mais qui n’en reste pas moins un des maîtres du théâtre contemporain. C’est en cette qualité que nous avons cru devoir lui dire toute la vérité sur ce Daniel Rochat, qu’il referait d’une tout autre façon, nous en sommes sur, s’il avait à le faire. Mais M. Sardou est un assez vaillant travailleur pour « se corriger dans un autre ouvrage, » suivant le mot d’un célèbre écrivain. — Nous attendons cet autre ouvrage.


PAUL BOURGET.