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III.

Peut-on concevoir les mêmes espérances pour le parlement que pour le pays? Y a-t-il là aussi une majorité possible, sinon pour le présent, du moins dans un prochain avenir, pour une politique vraiment libérale et conservatrice? Les faits qui s’y passent ne permettent guère de le croire, si l’on s’en tient aux faits, sans en rechercher les causes. Si l’on jugeait des sentimens de la majorité républicaine par ses actes, dans la chambre des députés, on devrait la croire à peu près tout entière acquise à la politique jacobine et radicale. Et cependant le plus grand nombre des membres qui la composent s’en défendent vivement. Quand on les aborde, ils ne font pas difficulté d’avouer leurs scrupules, et d’affirmer leurs sentimens libéraux et conservateurs. S’ils sont sincères, et il n’est pas permis d’en douter, pourquoi tiennent-ils, au parlement, une conduite aussi contraire à leurs vrais sentimens? Une chose nous parait suffire à tout expliquer : c’est la manière dont se sont faites les élections de 1876, et surtout de 1877. Dans ces élections, le succès des candidats républicains n’était possible que par l’union des divers groupes républicains, maintenue par une stricte discipline dont le mot d’ordre, devant le suffrage universel, était : république. Ce mot d’ordre, aussi habile que vague, n’eût rien eu de gênant pour la liberté des candidats qui le recevaient, s’il avait été l’unique programme des élections. Mais il en fut tout autrement. Les candidats de certains groupes, tels que l’extrême gauche et l’union républicaine, n’avaient point de conditions à subir, puisqu’ils avaient affaire à un corps électoral d’opinions avancées. Il n’en était pas de même des candidats de gauche modérée, et surtout de centre gauche. Comme ils ne pouvaient, dans leurs arrondissemens conservateurs, réunir une majorité républicaine qu’avec l’appui des électeurs radicaux, ils ont dû, sinon contracter des engagemens précis sur telles ou telles questions, du moins promettre de marcher d’accord avec les autres groupes républicains, et de tout faire pour en maintenir l’union, dans le parlement comme dans le pays. Et cet engagement entrait tellement dans les conditions de la lutte électorale qu’il n’était pas même nécessaire de le stipuler formellement. On savait comment le succès était possible pour le présent, et comment il le deviendrait encore pour l’avenir, et on entendait rester fidèle à une sorte de pacte où l’intérêt n’était pas moins en jeu que l’honneur. C’est ce qui dut arriver dans les élections de 1876, et plus encore dans celles de 1877, où la plupart des candidats du centre gauche et un certain nombre de candidats de la gauche pure