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leur patriotisme en question sans paraître insulter à la raison publique. Faut-il croire que les teutomanes affectent des inquiétudes qu’ils ne ressentent point, ou que chaque pays a les juifs qu’il mérite ?

Si notre mémoire ne nous trompe, c’est Borne qui a remarqué que les hébréophobes commencent toujours par faire intervenir dans leurs réquisitoires la métaphysique, la morale, la conscience, l’immortalité de l’âme, le patriotisme, le soleil, la lune et les étoiles, mais qu’après s’être livrés à ces considérations transcendantes et avoir tiré toutes leurs fusées, ils trahissent par un mot maladroit leurs véritables préoccupations. On découvre alors qu’en définitive ils reprochent par-dessus tout au peuple élu d’avoir plus qu’eux le génie du négoce et de la finance et de gagner trop d’argent. Une femme qui avait su employer sa jeunesse et qui ne se consolait pas d’avoir passé l’âge des agréables aventures se montrait implacable pour les femmes légères, dont elle censurait les moindres écarts avec un zèle amer et emporté. Un homme d’esprit disait d’elle : « C’est tout simple, elle regarde les péchés d’autrui comme du bien volé. » Beaucoup de spéculateurs chrétiens considèrent comme du bien volé tout l’argent qu’encaisse un juif ; ils ne demandaient pas mieux que de se donner au diable, le diable n’a pas voulu d’eux, il dispense ses faveurs comme il l’entend.

Les bruyantes colères qui viennent d’éclater contre les juifs allemands s’expliquent sans peine par les succès qu’ils ont obtenus dans ces douze dernières années. Le mot de Heine n’est plus vrai, ils ont été trop heureux, et les grands bonheurs s’expient toujours. Ils ont joué un rôle considérable dans la politique, ils se sont emparés de la direction du parti national-libéral, auquel ils ont fourni quelques-uns de ses chefs et la plupart de ses opinions ; tous les changemens que ce parti, d’accord avec M. de Bismarck, a introduits dans la législation dès le lendemain de Sadowa, ont tourné à leur profit. Les lois sur le libre établissement, sur les banques, sur les sociétés par actions, sur la liberté de l’industrie, sur l’usure, ont été inspirées et exploitées par eux. Après la fondation de l’empire, leur prospérité a pris un nouvel essor. Ils sont les seuls à qui la contribution des cinq milliards n’ait point causé de mécomptes, la loi sur l’étalon d’or leur a procuré de gros profits, et quand la banque de Prusse fut transformée en banque impériale, ils ont su accaparer cet important établissement ; la commission centrale qui le dirige se compose de quinze membres et de quinze suppléans, parmi lesquels figurent vingt-un juifs. Ils peuvent se vanter sans forfanterie que l’empire allemand a été créé pour leur usage, que pour eux seuls il a tenu toutes ses promesses, que, tandis que l’industrie et le commerce languissaient et que l’Allemagne tout entière se répandait en plaintes, ils n’avaient à se plaindre de rien et que leurs affaires prospéraient à souhait. Ils peuvent se vanter aussi qu’ils ont su employer à leurs fins un homme qui se pique de ne s’employer jamais pour personne. Les juifs