Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de M. Carolus Duran, mais quelle science du modelé, quelle sûreté de main, quelle force contenue se cachent sous cette tranquille exécution!

La société des aquarellistes français aura fait cette année deux expositions. La première, qui ne se composait que de peintures à l’huile, est fermée depuis un mois. Mais on conserve le souvenir de ces tableaux aujourd’hui dispersés. On n’a pas oublié le Bas-Meudon, de M. Heilbuth, cette yole qui vogue sur la Seine dans l’atmosphère laiteuse du matin, ni les Grandes Manœuvres de M. Détaille, ce groupe d’officiers étrangers qui ont arrêté leurs chevaux pour suivre de la lorgnette le tir d’une batterie canonnant la position ennemie, ni l’Aïeul de M. Louis Leloir, cette fillette juchée sur le fauteuil de son grand-père et s’efforçant de peigner avec un énorme peigne le crâne totalement chauve du vieux gentilhomme. On se rappelle aussi l’Atelier du soir et la spirituelle scène de l’Éminence en visite, de M. Vibert, les Catalans et les Andalouses, conformes à l’original, de M. Worms, le vigoureux portrait de jeune fille, de Mme Madeleine Lemaire, les paysages de style de M. Français, les sites fantastiques de M. Gustave Doré, enfin le Laboratoire d’alchimie, la Grand’messe et le Retour de la chasse de M. Isabey. Le mouvement endiablé, le pittoresque désordre, la chaude couleur, rappellent les tableaux de l’école romantique. Il paraît que cette peinture-là est aujourd’hui démodée. Qui sait si, quand les jeunes peintres en vogue auront atteint l’âge de M. Isabey, leur peinture aussi ne sera pas démodée?

La seconde exposition des aquarellistes, celle-ci toute consacrée aux aquarelles, n’ouvrira que le 1er mars. Elle est encore dans le chaos de l’installation. Toutefois ce que nous en avons vu nous permet de dire que cette petite exposition sera la joie des yeux. Nous pressentons les paroles approbatives que provoqueront les cadres d’Eugène Lami et les convoitises féminines que fera naître le ravissant éventail où M. Louis Leloir a peint un nouvel épisode de la tentation de saint Antoine. Pour échapper aux épouvantables monstres et aux diables cornus de Callot, saint Antoine a quitté sa grotte et s’est réfugié sur un arbre. Mais voici que, sur chaque branche de l’arbre, se pose moitié oiseau et moitié fleur, une jolie femme demi-nue. L’enfer est devenu le paradis de Mahomet. Comment M. Leloir veut-il qu’on croie maintenant à la légende qui dit que saint Antoine triompha de la tentation ? M. Heilbuth expose les Fouilles de Pompéi, aquarelle d’une tonalité très chaude et d’une exécution très poussée, et des marines d’eau douce et d’eau salée d’une vive impression de fraîcheur. M. Détaillé a envoyé quatre aquarelles ou plutôt quatre gouaches dont le faire est également très vigoureux : tons solides et lumières empâtées. Ce sont des souvenirs de Londres. L’allure et la physionomie du soldat anglais sont admirablement rendues dans les horse-guards revenant de l’exercice par les allées