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vénusté. Un enfant nu, frère de ces ravissans androgynes des médaillons de l’Opéra, regarde la magique apparition. Le bleu vif du ciel estompé de nuages blancs s’harmonise avec les figures dans une tonalité nacrée et lumineuse.

Une fois de plus, voici en présence les deux rivaux, Bonnat et Carolus Duran. L’un expose un portrait très ressemblant du peintre Gigoux; la tête est traitée par larges plans, avec de solides dessous accusant rigoureusement la structure de la face. L’autre expose un portrait non moins ressemblant de M. Sully-Prudhomme, qui a le relief et l’éclat de la vie; M. Bastien Lepage, lui, se garde bien de donner à ses portraits ce relief et cet éclat. Très décidément l’admiration de ce jeune peintre est un sens qui nous fait défaut. Après Léonard et Raphaël qui ont réussi à perdre dans la pâte tous leurs coups de pinceau, à dissimuler toute trace du métier, après Rubens et Rembrandt qui ont peint d’une façon si large, et si libre, au dix-neuvième siècle enfin, revenir au travail minutieux et laborieux et aux petites touches juxtaposées des primitifs allemands, cela nous semble prodigieux. Dans un des petits portraits mornes et figés de M. Bastien Lepage, les cheveux et la barbe sont faits poil par poil; on pourrait presque les compter. Ce travail à la loupe dénote certainement une admirable dextérité et une savante recherche des procédés archaïques; mais c’est de l’art primitif, c’est-à-dire de l’art rudimentaire. Si nous avons pour la peinture de M. Bastien Lepage une antipathie qui semblera excessive à plus d’un lecteur, nous avons pour la peinture de M. Henner une sympathie qui à quelques-uns semblera tout aussi étrange. Les moindres ébauches de Henner, cette Tête de femme, par exemple, dont la ligne du profil, les yeux et la bouche se noient dans l’ombre et dont on voit seulement l’ivoire du col et de la joue et l’or rutilant de la chevelure, portent la griffe du lion, la marque du maître-peintre.

On regarde avec d’autant plus de curiosité le portrait du sergent Hoff, par M. Bertier, que ce héros à la Cooper a passé quelque temps pour un personnage légendaire. Dans Paris assiégé, où pourtant on croyait à tant de choses, on ne voulait pas croire à l’existence de ce hardi chasseur d’hommes qui chaque matin rentrait aux avant-postes, portant comme un trophée un casque de Prussien. Invention de chroniqueur, disait-on. Or le sergent Hoff existe bel et bien. On peut le voir en personne place Vendôme, car il est maintenant gardien de la colonne, et en effigie à l’exposition de la rue Volney. M. Bertier a naturellement peint le soldat dans son vieil uniforme, la capote gris-bleuté du 7e de marche, où brille une croix bien gagnée. Il est vu de face, serrant dans sa main droite le canon de son redoutable chassepot. Malgré les épaisses moustaches châtain qui cachent la lèvre, la physionomie est très douce, si douce qu’on hésite à reconnaître le