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seuls désirer une complète expérience de la politique radicale. Tous les vrais conservateurs, à quelque parti qu’ils appartiennent, en redoutent les effets, dont le premier serait la disparition de la république constitutionnelle avec son sage et respectable président.

Ce ne sera jamais la tactique de la patriotique opposition qui vient de s’affirmer dans le parlement, à propos des lois Ferry. Elle attendra sans impatience comme sans faiblesse que l’expérience de la politique radicale soit faite pour le pays. Elle l’attendra, non pas muette et passive, mais en relevant toutes les fautes, tous les abus, tous les excès, en discutant toutes les lois des ministres de cette politique, de façon à éclairer le pays. En cela, elle n’usera pas seulement de son droit ; elle fera son devoir. C’est là sa première force, qui ne suffit pas pour vaincre. Il faut encore y joindre celle que donne l’espoir du succès. Comment lutter contre un parti qui dispose d’une majorité écrasante dans le parlement, et auquel une puissante organisation, qui couvre le pays, semble assurer le succès dans la plupart des élections? Que peut la propagande de la parole et de la plume contre une telle discipline? Comment faire entendre raison à des masses qui obéissent à une consigne? Il n’y a qu’à voir les élections des grandes villes, où toute une classe de citoyens va au scrutin comme une armée va au combat, avec un mot d’ordre fidèlement gardé. On peut juger ce que pèse, dans la balance du scrutin, le talent, l’éloquence, le caractère, l’autorité personnelle ! Quelles chances de succès peut-on avoir? C’est ce qu’il importe d’expliquer.

Si cette armée d’électeurs était le pays tout entier, il n’y aurait qu’à courber la tête sous l’inexorable fatalité. Il n’y aurait qu’à laisser passer l’erreur, l’iniquité, la folie, en attendant que l’expérience en ait fait justice, au risque d’arriver trop tard pour réparer le mal qu’elle aurait fait. Heureusement pour notre salut, le pays ne tient pas tout entier dans les cadres de l’organisation radicale. On fait aux partis politiques une place beaucoup trop large dans notre grande société. Quand on a nombré tous les partis qui l’agitent et la travaillent, on croit que tout compte est fait. Alors on trouve que le parti républicain est le plus nombreux de beaucoup que dans ce parti les fractions radicales font la grande majorité, que, par conséquent, il n’y a pas à leur disputer la victoire sur le champ de bataille électoral. C’est une grave erreur. Dans notre vaste corps électoral, les partis politiques réunis ne forment qu’une petite minorité, quelques centaines de mille tout au plus. Reste la grande majorité de près de neuf millions de citoyens. Cette énorme masse fait tour à tour le succès ou la défaite des partis, en se portant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, sous la pression des événemens,