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« A l’origine de l’exploitation, le système différentiel avait été poussé jusqu’à l’abus : aussi n’était-il pas rare de voir une marchandise payer plus cher pour une distance moindre que pour une distance plus considérable, sur une seule et même ligne. Le parcours de Paris à Angers, par exemple, était taxé plus haut que le parcours de Paris à Nantes, et cela même dans le tarif général.

« Ces anomalies, tant reprochées aux chemins de fer, n’étaient cependant pas un fait nouveau dans l’industrie des transports. Avant l’établissement des voies ferrées, le roulage percevait également un prix plus élevé de Paris à Angers que de Paris à Nantes, et l’on voit que, sur ce parcours, le chemin de fer n’avait fait que suivre les anciens erremens du roulage. La batellerie, de son côté, prenait autrefois plus cher de Chalon-sur-Saône à Villefranche que de Châlon à Lyon; plus cher de Lyon à Tarascon que de Lyon à Arles. »

M. de la Gournerie reprend cette question avec une grande autorité et, après avoir montré les causes de ces inégalités de transport, il ajoute :

« Les chemins de fer sont dans les mêmes conditions que le roulage et la batellerie. Je ne vois pas comment il pourrait être possible d’établir qu’un transport plus long n’a jamais une valeur moindre ou que chaque transport ne doit pas être payé à sa valeur. Les faits signalés dans le document précité ne me paraissent présenter ni abus, ni anomalies. Il importe d’ailleurs d’observer que ces faits ont été parfaitement acceptés tant qu’ils ont été l’œuvre du commerce libre. Un peuple peut adopter sur son territoire des combinaisons artificielles; mais, dans ses relations avec les autres peuples, la réalité des faits commerciaux apparaît et met en évidence le vice des dispositions adoptées. La clause des stations non dénommées a permis aux chemins de fer étrangers de prendre une partie du trafic entre Roubaix et Saint-Dié, villes voisines de la frontière. Nos compagnies ne peuvent entrer en lutte et réduire pour ce trajet leurs bénéfices à la dernière limite, parce qu’elles seraient obligées d’accorder les mêmes avantages à un grand nombre de stations intermédiaires et, par suite, de subir une perte considérable,

« L’administration a été obligée d’autoriser, pour le transit, des tarifs spéciaux sur lesquels on ne peut s’appuyer pour réclamer l’application de la clause des stations non dénommées. Il est évident qu’on ne saurait faire payer aux étrangers un transport plus cher qu’il ne vaut. »

Dès que les notions élémentaires de l’offre et de la demande ne sont plus faussées par l’intervention administrative, la valeur reparaît, et, comme le dit M. de la Gournerie, il est incontestable qu’un transport plus long peut avoir une valeur moindre.