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voulu réfléchir, cette disposition des esprits, loin de faciliter le retour vers des idées ou des formes jadis étroitement unies à la religion, s’y refusait au contraire avec énergie.

Montlosier, avec ses âpretés et ses bizarreries, avec le goût qu’il avait toujours eu pour les études théologiques, avait gardé vis-à-vis du clergé et des congrégations les opinions qu’il exprimait en 1789. Il n’était pas favorable au budget des cultes. Sans vouloir revenir aux dîmes, il pensait que le clergé devait être propriétaire de biens déterminés dont l’importance aurait cependant pu être limitée. Ce n’était pas un voltairien. Après avoir lu les Considérations sur la révolution, il avait copié, en les soulignant, ces lignes de Mme de Staël : Le jour où l’on cessera de réunir ce que Dieu a séparé, la religion et la politique, le clergé aura moins de crédit et de puissance, mais la nation sera sincèrement religieuse. A Randanne, chaque soir il lisait à ses valets de ferme un chapitre de l’Imitation; mais il y avait toujours eu en lui du vieil esprit légiste vis-à-vis de l’église.

Très lié avec son compatriote et son cousin l’abbé de Pradt, qu’il traitait plutôt en homme d’état qu’en archevêque, échangeant avec lui les livres nouveaux, Montlosier racontait volontiers une anecdote qui permettait d’apprécier l’esprit du jeune clergé comparé à celui du clergé d’avant la révolution.

L’abbé de Pradt venait de lire l’ouvrage de M. Guizot, des Moyens d’opposition et de gouvernement; il le louait devant le curé de son village et lui en citait des passages. Le curé les attaqua violemment; l’archevêque les défendit; le curé lui interdit l’entrée de l’église et le menaça de l’en chasser au besoin. L’évêque de Clermont, à qui l’on en référa, désapprouva heureusement le curé, et l’archevêque put faire ses pâques.

Montlosier fut bientôt conduit non-seulement à prendre une part active dans la lutte, mais à la diriger. C’est la période de sa vie qui a donné le plus d’éclat à son nom.

Pour comprendre son attitude vis-à-vis des jésuites, il faut ne pas oublier aussi qu’il appartenait à une province où les plus honorables familles avaient été jansénistes, à une province qui avait presque peuplé Port-Royal. Le jansénisme n’était pas seulement une théorie nouvelle sur la grâce, il fut surtout une réaction contre les doctrines, la discipline et l’influence de la célèbre compagnie. Aussi les animosités entre les deux partis furent-elles implacables et perpétuelles. Avant de parler du Mémoire à consulter, il était nécessaire de bien constater les origines.


A. BARDOUX.