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L’influence, le pouvoir, les avantages sociaux, avaient changé de mains. Il fallait donc les reprendre à leurs nouveaux possesseurs.

Les écrivains les plus perspicaces virent bien alors la nature de cette lutte décisive; et ce sont les incidens de cette dernière bataille qui donnent un caractère si dramatique à certaines journées parlementaires. L’intérêt n’aurait pas été si poignant, la passion si surexcitée, s’il ne se fût agi que d’un débat éloquent. Croit-on que la jeunesse eût applaudi avec autant d’enthousiasme Chauvelin, se faisant porter malade au Palais-Bourbon pour prendre part à un vote? croit-on que l’expulsion de Manuel eût autant remué la bourgeoisie française, s’il n’eût été question que d’une infraction au règlement ou d’un amendement plus ou moins libéral? Croit-on que lorsque le discours du trône annonçait la présentation d’un projet de loi pour mettre un terme au morcellement de la propriété foncière, l’opinion n’y voyait qu’une thèse économique? On considéra ce projet comme une tentative nouvelle de retour à l’ancien ordre social, comme une attaque directe contre la France moderne.

Lorsque fut apportée à la chambre des pairs la célèbre proposition relative au droit d’aînesse, la majorité du pays ne s’occupa point de savoir si elle était menaçante pour le régime constitutionnel. Ombrageux devant une atteinte au principe d’égalité, le parti libéral voua une implacable haine aux imprudens qui méconnaissaient le tempérament national.

Sans doute l’ancienne aristocratie n’était dépourvue ni d’esprits élevés, ni de caractères généreux; mais elle s’était brouillée avec la France, et si elle avait voulu chercher des points d’appui contre l’autorité royale, en faveur de sa propre indépendance, le vide se serait fait autour de ses prétentions, alors même qu’elle aurait eu de son côté toutes les fiertés. C’était la démocratie entière, et à sa tête la bourgeoisie, qui repoussait un assaut dont l’impuissance n’était pas un seul instant douteuse.

« Loin de vous montrer si inquiets de l’influence de la classe moyenne, écrivait le plus autorisé de ses chefs, adoptez cette influence! Aidez-la à s’étendre, à se constituer; c’est ce qu’elle cherche; qui la servira en ceci sera son maître. Elle est assez haut pour ne plus descendre, pas encore pour fournir à la société cette véritable, cette légitime aristocratie dont l’un et l’autre ont besoin. Voyez l’ardeur avec laquelle les jeunes gens de cette classe se précipitent vers les études sérieuses, vers les professions qui procurent la considération, les nombreuses clientèles, et placent les hommes à la tête de l’ordre social. Emparez-vous de cette ardeur, élevez seulement le but où elle aspire ! »

On n’écouta pas cette voix; et cependant le changement qui