Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils auront fait aux âmes religieuses des blessures qui saigneront longtemps, en même temps qu’ils auront porté aux principes des atteintes dont le prestige de la république souffrira. Ils auront laissé dans le pays tout entier des traces de violence et d’oppression que la prospérité matérielle, si elle vient, n’effacera point. En tout cas, que cette triste besogne soit ou non du goût de notre premier ministre, le ministère qui porte son nom n’en persévère pas moins, sous une pression plus forte, dans la voie d’exclusion, d’intimidation et d’oppression, où ses prédécesseurs ont eu la faiblesse de se laisser engager.

Malgré tout, il est difficile de ne pas reconnaître que la situation a changé depuis la rentrée des chambres. Bien qu’elle ne soit pas aussi simple, aussi nette qu’on pourrait le désirer, bien que la politique de l’équivoque et des sous-entendus y laisse encore une certaine obscurité, le jour commence pourtant à s’y faire. A défaut des hommes, les faits parlent, et leur langage est déjà assez clair pour être compris, au dedans du parlement et au dehors, par tous ceux dont les positions, les rancunes ou les ambitions de parti n’ont point fermé les oreilles. Si le ministère Freycinet n’a point l’indépendance que réclame le régime parlementaire, et si sa déclaration ne peut être prise pour un véritable programme, il n’en reste pas moins avéré qu’il a une politique, qui s’affirme dès à présent par des actes décisifs. Ces lois et ces mesures mentionnées dans la déclaration officielle, et qui sont en voie de discussion et d’exécution, ne peuvent être considérées comme de simples accidens d’une politique transitoire, de purs expédiens inventés pour répondre aux nécessités du moment. Tout cela est la manifestation d’un esprit, la pratique d’un parti qui a un nom fameux dans notre histoire révolutionnaire. Il faut une forte dose d’optimisme pour espérer que cet esprit et ce parti s’arrêteront aux lois et aux mesures actuelles. La politique jacobine ne fait que commencer son œuvre; elle y mettra le temps et la mesure, parce qu’elle est assez souple pour s’accommoder au tempérament de la société actuelle; mais, comme l’a dit un de ses organes les plus intelligens, elle atteindra son but d’autant plus sûrement qu’elle ira plus lentement. Ce qu’elle a déjà fait, ce qu’elle fait maintenant, suffit amplement à justifier la protestation des républicains libéraux et conservateurs.

Qu’est-ce que l’amnistie, partielle ou plénière, sinon une réhabilitation plus ou moins complète de la commune, tandis que la grâce partielle ou universelle maintenait du moins la gravité du crime et l’autorité de la condamnation. Est-ce là une affaire de détail ou une question de principe? Qu’est-ce que la suppression ou la suspension de l’inamovibilité de la magistrature, sinon la mort de l’institution elle-même, qui ne peut vivre sans indépendance et