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C’était le conseil que donnait dans ses conversations Mme de Staël. Montlosier, dans un court voyage à Londres, lui avait rendu visite et était revenu avec elle. Il avait eu le bonheur de lui entendre lire les premiers chapitre des Considérations qu’elle écrivait alors, et il avait essuyé le feu de ses critiques à propos des théories historiques du livre de la Monarchie.

Très arrêté dans ses desseins, il avait écrit au comte d’Artois pour lui offrir ses services. N’ayant reçu aucune réponse, il se rendait un matin aux Tuileries pour voir M. de Maillé, lorsque Chateaubriand qu’il rencontra lui annonça la nouvelle du débarquement de Bonaparte. « Nous vivons dans un singulier temps, écrivait-il le 20 février à son correspondant habituel ; voilà l’empereur qui s’avance... Que Dieu vienne à notre secours!.. M. de Vioménil a passé la revue à Vincennes des 1,800 volontaires. Il leur a dit : « Le plus beau jour de ma vie est celui où le roi mon maître m’a choisi. » — Mon maître ! comment se fait-il que le roi soit plus spécialement le maître de M. de Vioménil que de tous les autres qui étaient là? C’est une pitié, mais en même temps c’est une désolation. »

Montlosier, tout en étant royaliste et entiché des prétentions nobiliaires les plus surannées, ne manquait jamais l’occasion de protester contre la servilité.

Pendant les cent jours, il resta un spectateur désintéressé, mais clairvoyant. Le décret relatif à l’assemblée extraordinaire du champ de mai avait produit sur son imagination une vive impression. Le champ de mai était un nom qui lui convenait. Benjamin Constant qu’il vit beaucoup alors, s’efforçait, malgré son scepticisme, de le rattacher aux idées nouvelles. Montlosier, un moment attiré par ce séduisant esprit qui n’avait qu’une confiance fragile dans les systèmes qu’il patronnait le plus chaleureusement, avait été bientôt guéri de son entrain passager. Il le comparaît aux émotions que donne un joyeux festin.

Le décret du 22 février 1815, qui mettait les collèges électoraux sous la férule des préfets, avait absolument déconcerté Montlosier.

Une série de billets envoyés jour par jour à Prosper de Barante nous renseigne exactement sur des faits que la correspondance de Sismondi vient d’éclairer.

« 20 avril. — J’ai vu Benjamin. Il a vu trois ou quatre fois l’empereur, dont il est content. Il lui a trouvé une sagacité infinie. Nous faisons aujourd’hui un dîner au cabaret. La guerre me paraît certaine à moi; Benjamin n’y croit pas encore. »

« 21 avril. — J’ai dîné avec Benjamin au cabaret. Il sortait de chez l’empereur, qui lui paraît le mieux disposé du monde en faveur d’une constitution et qui est tout libéral... La souveraineté du peuple,