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Vienne pour le mois d’octobre 1310. Il fut convenu qu’en attendant l’instruction du procès contre Boniface, le procès contre les templiers suivrait son cours ; le pape, dans ses bulles, louait avec emphase le roi, «qui n’agit point par avarice, qui ne veut rien s’approprier des biens des templiers. »

Le roi, dans cette tragique affaire, ne perdit point un moment ses avantages; les modèles d’interrogatoire dressés par Nogaret et Plaisian furent partout adoptés; les calomnies imaginées par ses légistes furent trouvées plausibles par l’opinion, et l’ont été par l’histoire. Au mois de mai 1310, les gens du roi assouvirent leur haine contre quelques malheureux, coupables de ne pas abandonner l’honneur de leur ordre, par les plus horribles tortures qu’on se souvînt d’avoir vues, sans que le pape entendît leur appel et les cris désespérés qu’ils élevaient vers lui du milieu de leurs supplices.


III.

Clément n’aspirait qu’à échapper à une tyrannie qui devenait chaque jour plus intolérable. La mort d’Albert d’Autriche, arrivée le 1er mai 1308, pendant que le roi et le pape étaient réunis, vint compliquer sa position. Une des ambitions de Philippe, et assurément une des moins sensées, était d’asseoir son frère Charles de Valois sur le trône impérial. Il entendait que Clément employât toute son influence pour faire réussir cette intrigue. Clément tenait essentiellement à ce que la maison capétienne, qui occupait déjà les trônes de France, de Navarre, de Naples, de Hongrie, qui dominait dans toute l’Italie centrale, ne fût pas maîtresse en Allemagne. Comment le pape réussit-il à sortir de cette situation en apparence désespérée ? Villani prétend qu’il fit au roi toutes sortes de promesses, en travaillant secrètement contre lui. On ne voit pas, en effet, que Clément pût se tirer d’affaire autrement que par la duplicité. Le cardinal de Prato se chargea de tous les actes qui eussent été trop directement une trahison. Clément partit de Poitiers, vers la fin d’août 1308, avec l’agrément du roi, par conséquent après avoir satisfait pour la forme à toutes ses exigences.

Le séjour du royaume était devenu insupportable au pape. Il lui était interdit, d’un autre côté, de penser à retourner à Rome. C’est alors qu’il songea au Comtat Venaissin, qui, depuis 1274, appartenait en toute souveraineté à la papauté. La ville d’Avignon fixa son choix, et ce fut l’objet d’une déclaration solennelle. Cette ville ne faisait point partie du Comtat; elle appartenait aux comtes de Provence. Le roi la dominait par la forteresse que faisait bâtir, sur la rive opposée du Rhône, son architecte Raoul de Méruel, Le pape