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chrétienne, » et dont ses ennemis prétendaient « qu’il sortoit rarement de bons fruits[1]. »

La conquête de la terre-sainte était en apparence l’objet principal du colloque. Les circonstances pouvaient sembler très favorables. Les Tartares, chez qui les zélateurs des croisades voyaient depuis longtemps le principal appui qu’il fallait chercher contre les musulmans, paraissaient plus portés que jamais vers le christianisme. Ce qu’on apprenait de merveilleux sur les résultats obtenus par Jean de Montcorvin en Tartarie et en Chine enflammait les imaginations. Clément montrait, sur le chapitre de ces conquêtes lointaines, beaucoup plus de zèle que quand on lui parlait de réformes intérieures. Frère Thomas de Tolentino, l’envoyé de Montcorvin, jouit à la cour papale d’une faveur extraordinaire, et une vaste mission fut organisée. L’Arménien Hayton n’eut pas moins de succès à Poitiers. Ce prince d’Orient, devenu religieux prémontré, apportait sur les Tartares des renseignemens nouveaux et qui remplissaient tout le monde d’espérance. On voyait déjà ces barbares faisant leur jonction avec les croisés, éclairant la marche des armées chrétiennes, les pourvoyant de chevaux. Hayton excellait à montrer les fautes antérieurement commises et croyait posséder des secrets pour les éviter. Le livre de Marco Polo, apporté vers le même temps à Charles de Valois, éveillait aussi l’intérêt pour ces contrées lointaines. Par moment, l’entreprise semblait décidée ; Charles de Valois était officiellement présenté comme le chef de l’armée catholique ; le pape donnait bulles sur bulles, écrivait à l’archevêque de Ravenne et aux évêques de Romagne de prêcher la croisade dans les Marches, à Venise, excommuniait Andronic Paléologue comme fauteur de schisme. Mais on sentait que tout cela était peu sérieux. Les seuls qui voulussent la continuation de la guerre sainte étaient les templiers, et on ne songeait qu’à les supprimer.

Pour le roi et ses conseillers, la conquête de la terre-sainte n’était certainement qu’un prétexte. Pierre Du Bois, Nogaret, tout en dressant des projets sans fin pour reconquérir la Palestine, aspiraient en réalité à mettre entre les mains du roi les biens affectés à l’œuvre d’Orient. La destruction de l’ordre du Temple et de celui des hospitaliers était la base de ces projets. Clément résista. Tout ce qu’on put obtenir de lui fut de faire appeler à Poitiers les chefs des deux ordres, qui étaient dans l’île de Chypre. Le pape déclarait vouloir les consulter sur la croisade et sur la réunion des deux ordres. Le maître du Temple, Jacques Molai, vint seul; le maître de l’Hôpital s’arrêta prudemment à Rhodes et s’excusa.

Molai fut bien reçu et composa, ou plutôt fit composer dans son

  1. Dante, Purgat., XX, terz. 15.