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roi pour les évêchés était toute-puissante. L’épiscopat fut ainsi rempli des serviteurs du roi, de clercs instruits sans doute, mais habitués à toutes les complaisances envers la royauté. Ce fut le triomphe de l’église gallicane et de l’Université de Paris. Toute une génération de clercs sérieux, rudes enfans de la scolastique, presque tous de pauvre extraction, parvenus par l’effort, la dispute et le travail, accoutumèrent à l’idée que les études et surtout le droit canonique faisaient arriver aux premières places du monde. Mais il fut clair aussi que le meilleur moyen pour réussir dans l’église n’était pas de servir uniquement l’église, puisque l’épiscopat et la pourpre devinrent la récompense des services rendus au roi dans une guerre dont le but avait été l’arrestation du pape et qui avait eu pour résultat la complète humiliation de la papauté.

L’entente de Philippe et de Clément était, à ce moment, presque absolue. Les concessions du pape n’avaient pas de bornes. Le vainqueur de Boniface régnait dans l’église, et l’argent des bénéfices affluait dans ses coffres. Les Colonnes furent réintégrés dans tous leurs honneurs. Le 1er janvier 1306, à Lyon, le pape donna deux bulles qui effaçaient jusqu’au dernier souvenir des actes de Boniface contre la France. Dans l’une, le pape déclare qu’il ne prétend point que la constitution Unam sanctam porte aucun préjudice au roi ni au royaume de France, ni qu’elle les rende plus sujets à l’église romaine qu’ils ne l’étaient auparavant. Il veut que toutes choses soient censées être au même état qu’avant la bulle, tant à l’égard de l’église que du roi, du royaume et des habitans. L’autre bulle révoque la constitution Clericis laicos et les déclarations faites en conséquence, à cause des scandales et des inconvéniens qu’elles avaient produits et pouvaient produire encore. Nous avons raconté ici même[1] comment les registres du Vatican portent la mention expresse des radiations opérées, par l’ordre du pape, sur tous les actes qui auraient pu apprendre à l’avenir qu’un pape avait eu l’audace de traiter la France comme ses prédécesseurs avaient traité la chrétienté.

Clément passa la plus grande partie de l’hiver de 1305-1306 à Lyon, ou à Saint-Genis-Laval, au château de Marion, où le duc de Calabre, Robert, vint lui rendre hommage-lige au nom de son père Charles II. Une foule d’affaires furent réglées, et l’on parla beaucoup des sommes immenses que les évêques et les abbés de France durent verser dans les caisses de Clément. Ces affaires, où l’attachaient son intérêt et sa passion, absorbaient le pape tout entier, et il ne prêtait qu’une oreille distraite aux bruits qui lui venaient d’Italie. L’anarchie y était à son comble ; les noirs et les blancs, les

  1. 15 avril 1872, p. 789-790.