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Charles de Valois fut atteint ; le duc de Bretagne le fut plus gravement encore. Il mourut, ainsi que Gaillard de Got, l’un des frères du pape, le cardinal Matthieu des Ursins et douze autres personnes du cortège.

Le 23 novembre, Clément dit sa première messe pontificale. Mais ces fêtes religieuses dissimulaient mal un grand fond de haines réciproques. La messe fut suivie d’un dîner, après lequel une rixe s’éleva entre les gens du pape et ceux des cardinaux; on en vint aux mains; un autre des frères du pape fut tué dans la bataille. Tout cela était de mauvais augure. Les esprits chagrins prétendirent voir dans ces accidens le châtiment d’une élection faite contre l’ordre de Dieu.


II.

C’est à Lyon qu’eurent lieu, en réalité, entre le pape et le roi, ces entretiens politiques que la légende a placés dans nous ne savons quelle abbaye déserte du côté de Saint-Jean-d’Angély. Le roi aimait de grands projets, et il était entretenu dans ces idées par ses confidens. La reprise des croisades était le prétexte qu’il se plaisait à mettre en avant afin de couvrir ses vues d’ambition personnelle d’un semblant de zèle pour l’intérêt général de l’église. Le roi de France, devenant chef de la guerre sainte, centralisait en sa main toutes les forces de la chrétienté, les revenus ecclésiastiques surtout. Les ordres militaires supprimés, leurs richesses étaient mises à la disposition du chef des croisés. Celui-ci se trouvait constitué arbitre de l’Europe, juge de tous les différends qui retardaient l’action commune de la catholicité. L’empire, tel que Charlemagne l’avait créé, était en réalité transféré à la France. L’empire grec lui-même tombait dans les mains de la maison capétienne et lui assurait la domination universelle.

Dès les premiers jours qui suivirent l’élection de Clément, Philippe lui avait envoyé deux ambassadeurs, l’archevêque de Narbonne et Pierre de Latilli, pour lui faire part de ses desseins, avec les formes mystérieuses qui lui étaient habituelles. Clément avait évité de répondre. A Lyon, les négociations s’engagèrent directement. Le pape put sourire de plusieurs des projets qui lui furent soumis. Pas plus que Philippe il ne voulait la croisade. Loin de désirer l’agrandissement de la maison de France, il était décidé à l’entraver de toutes les manières. Il n’adopta point l’idée de la suppression des ordres militaires. Le point auquel Philippe le Bel tenait le plus était le retrait des anathèmes de Boniface; sur ce point. Clément promit tout. En ce qui concernait la mémoire du vieux pontife, il n’opposa pas un refus formel à la demande du