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la situation par la prompte élection de Benoît XI, homme pieux, étranger à la politique. Mais la mort inattendue de Benoît XI à Pérouse (6 juillet 1304) ramena la lutte, plus ardente que jamais, entre le parti du roi de France et les ultramontains. Pérouse vit, pendant près de onze mois, deux factions à peu près d’égale force se livrer une bataille sans issue. D’un côté, les Gaetani exigeaient un Italien favorable à la mémoire de Boniface. De l’autre, les Colonnes voulaient faire élire un Français tout dévoué au roi. De guerre lasse, une sorte d’accord s’établit. Les Italiens consentirent à ce que le pape fût des pays transalpins, mais à condition qu’ils désigneraient trois noms d’archevêques, parmi lesquels les cardinaux du parti français seraient obligés de choisir. Naturellement les Italiens présentèrent des créatures de Boniface, des personnes hostiles au roi et toutes dévouées aux Gaetani. Le premier sur la liste était Bertrand de Got. Sa nationalité douteuse, la haine qu’on lui savait pour la France, les obligations qu’il avait à Boniface, semblaient des garanties suffisantes aux yeux des italiens.

Cet habile cardinal de Prato, qui tint à diverses reprises le sort de l’Église entre ses mains, décida de l’élection. Partisan dévoué du roi et des Colonnes, il vit dans Bertrand de Got l’homme qu’il fallait pour satisfaire en apparence le parti contraire et pour donner toutes les réalités de la victoire à son parti. Il le savait ambitieux, intéressé, capable d’oublier ses rancunes quand il y trouvait son avantage. Le roi fut sans doute consulté, et, quoique la prétendue entrevue de Saint-Jean-d’Angély soit depuis longtemps placée au rang des fables, quoique les allégations sur l’or répandu à pleines mains par la cour de France ne soient pas prouvées, il y eut sûrement des pactes secrets. Le roi écrivit à l’archevêque de Bordeaux une lettre des plus amicales; l’archevêque se réconcilia avec Charles de Valois. L’entière absolution du roi et des Colonnes, la radiation sur les registres pontificaux des bulles offensantes pour la France, peut-être même le procès contre la mémoire de Boniface, furent des points accordés. À ces conditions, le roi consentit à l’élection de Bertrand de Got. Le 5 juin 1305, Bertrand fut proclamé pape, et trois députés, Gui, abbé de Beaulieu, Pierre, sacriste de l’église de Narbonne, et André, chanoine de Châlons, partirent sur-le-champ de Pérouse pour venir à Bordeaux lui porter la lettre par laquelle le conclave lui notifiait son élection.

Les députés étaient également porteurs d’une lettre où le sacré collège priait instamment le pape de venir aussitôt prendre possession du saint-siège, lui représentant les périls auxquels était exposé l’état temporel de l’Église romaine et la fâcheuse situation de la chrétienté en général. Il semble que les cardinaux avaient le soupçon de ce qui allait se passer et de l’imprudence qu’ils