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fait. On n’aura franchi le défilé de l’amnistie que pour arriver périodiquement à d’autres défilés tout aussi dangereux, pour se retrouver sans cesse en face d’incidens nouveaux nés de la politique d’agitation et de division. M. le ministre de l’instruction publique, après avoir obtenu à peu près son conseil supérieur, finît-il par arracher au sénat son article 7, est-ce que ce serait un dénoûment ? Est-ce que ce ne serait pas au contraire le commencement de luttes nouvelles et plus ardentes ? Que M. le garde des sceaux fût investi du droit de suspendre plus ou moins l’inamovibilité, de bouleverser à son gré la magistrature, est-ce qu’on croit que tout serait fini ? Est-ce qu’il est sage d’ailleurs de laisser indéfiniment l’ordre judiciaire tout entier dans cet état d’indécision et d’attente ? Qu’on ne s’y trompe pas, on peut choisir entre deux politiques : la pire des choses serait de croire qu’on peut les faire marcher ensemble. Ce serait perpétuer la confusion d’abord et peut-être préparer ensuite d’autres crises plus redoutables.

Certes de toutes les raisons qui devraient tenir les esprits sensés et clairvoyans constamment en garde contre la politique d’agitation, de division et d’aventure, la plus décisive est toujours ce qui se passe autour de nous ; c’est un certain état de l’Europe qui a sûrement sa gravité. Qu’on doive se défendre avec soin d’exagérer les moindres signes qui peuvent se produire en Europe, qu’on observe avec calme cet état qui se développe par degrés, rien de mieux. Les faits ne restent pas moins ce qu’ils sont, et il est bien certain qu’une politique radicale à Paris aurait le suprême inconvénient de ne pas créer à la France la meilleure des situations en Europe ; elle se heurterait du premier coup contre un sentiment conservateur très prononcé et contre cette activité d’armemens militaires qui n’en est plus à se déguiser. Des imaginations inventives se sont plu récemment à confier au monde le secret de toute sorte de projets extraordinaires, de toute sorte de combinaisons méditées par M. de Bismarck. Le chancelier allemand a le sort des riches, à qui on ne craint pas de prêter beaucoup. Pour rester dans la réalité, toute invention fabuleuse mise à part, M. de Bismarck est assurément de ceux qui ne font rien à la légère, et ce n’est pas sans intention qu’il croit devoir augmenter encore une fois la puissance militaire de l’Allemagne.

Est-ce pour un avenir indéterminé, inconnu et assez éloigné qu’il entend préparer les forces de l’empire, au risque d’imposer aux populations allemandes de lourds sacrifices ? A-t-il en vue quelque circonstance plus précise et plus immédiate ? Les armemens qui viennent d’être décidés à Berlin sous son inspiration sont-ils le complément de l’alliance austro-allemande ? Assurément, ce qu’il y a de plus clair, c’est que M. de Bismarck n’est point sans quelque sollicitude sur le sort de l’œuvre, colossale dont il reste encore le gardien, et qu’à tout