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se plaît à accumuler tout ce qui rend les gouvernemens impossibles en diminuant leurs prérogatives et leur dignité. On veut créer une république régulière, durable, où tout le monde puisse avoir accès, et cette république de tout le monde, on se hâte de la rétrécir à la mesure d’une domination de parti, on s’efforce de l’identifier avec les passions jalouses de secte. On a condamné chez les autres ce qu’on appelle la politique de combat, et aussitôt qu’on le peut, on se met à pratiquer sur la plus large échelle cette politique de combat et d’exclusion contre tout ce qui est suspect de dissidence. On parle de réformes, et sous ce nom de réformes on fait souvent passer des expédions de désorganisation et d’épuration. On est convaincu qu’un régime sérieux ne peut s’accréditer que par la modération, par la sagesse, par une équité supérieure ; — on le croit puisqu’on le répète fréquemment, — et en même temps on menace par des lois qui ne sont ni modérées, ni libérales, ni équitables, par des mesures de guerre ou de représaille, tantôt les croyances religieuses, tantôt les conditions essentielles de la magistrature, tantôt la liberté de l’enseignement, une liberté conquise depuis trente ans.

Hier encore, à propos de cette question de l’amnistie que M. Louis Blanc vient de réveiller une fois de plus, M. le président du conseil disait, avec son habile précision de langage : « Vous ne pouvez pas arriver à l’apaisement par l’agitation. » Rien de plus vrai. On ne prépare pas la paix intérieure par l’agitation ; on ne fait pas des réformes sérieuses avec des passions de parti ; on n’inspire pas la confiance à un pays en ébranlant tout sans rien créer. On ne recommande pas la république en la confondant avec toute sorte d’ardeurs factices et de turbulentes entreprises, en lui imposant de périlleuses et compromettantes solidarités. C’est toute la question. C’est là justement cette disproportion entre l’objet qu’on se propose, la fondation d’un régime régulier, et la politique de déviations incessantes, de diversions agitatrices à laquelle on se laisse entraîner. C’est cette intime et perpétuelle contradiction qui fait que majorité et gouvernement ont tant de peine à savoir où ils en sont et à se fixer. La majorité flotte entre des instincts mal définis, qui la laissent sans défense contre les tentations, et les nécessités qui la pressent, qu’elle entrevoit quelquefois ; les ministères cherchent un point d’appui qui leur échappe le plus souvent, et sans y prendre garde on risque d’arriver par degrés, sous le nom de république, à ce qu’un Espagnol, homme d’esprit des temps révolutionnaires, appelait, par opposition au gouvernement absolu, le « dégouvernement » absolu. Mettons que ce soit une dernière étape et qu’on n’y soit pas encore ; on peut dans tous les cas, sachant ce qui est au bout, éviter de se laisser conduire jusque-là, et la première condition est de savoir, s’arrêter et se reconnaître sur ce chemin scabreux où l’on est engagé.