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échapper, de ci, de là, quelques paroles qui ne sont ni prétentieuses, ni niaises, qui sont indifférentes, c’est-à-dire qui ne trahissent rien de son caractère ni de sa condition. Et le baron Hulot, dans la réalité, comme vous, comme moi, comme nous tous, apparemment accomplit certains actes qui ne révéleraient rien de ses passions ni de ses appétits au plus pénétrant des observateurs. Dans Madame Bovary cependant, Homais n’ouvre pas la bouche qu’il n’en tombe quelque phrase marquée au coin de sa solennelle bêtise, et le baron Hulot, dans la Cousine Bette, ne fait, pour ainsi dire, ni un pas ni un geste qui ne coure à l’assouvissement de ses désirs. Ils sont donc vrais, — car ils sont vrais, — précisément en tant qu’ils cessent d’être réels, — car ils cessent de l’être. Maintenant au contraire, vous voulez être absolument réel et, comme dit M. Zola, « vous vous jetez dans le train banal de l’existence. » Pour héros de votre journal, pour victime de votre biographie, vous choisissez un personnage, tel, je l’avoue, que nous en rencontrons par douzaines « dans la simplicité de la vie quotidienne ; » qui n’ont ni métier, ni condition, ni caractère surtout ; en vain serez-vous maître après cela dans l’art de voir et de faire voir, d’observer et de rendre, de découvrir les choses et de manier la langue : vous ennuierez. Tout ce qui est continu ennuie. Je le prouve par un seul exemple, en rappelant au souvenir de tous ceux qui l’ont lue l’Éducation sentimentale de M. Gustave Flaubert.

On demandera pourquoi cette continuité du détail fatigue et pourquoi cette nécessité de choisir s’impose ? La réponse est aisée maintenant : c’est parce que dans la vie les choses ne se passent pas comme elles devraient se passer. Nous avons besoin d’un peu d’idéal. Cela ne veut pas dire, comme il plaît à M. Zola de le supposer pour se faire la partie plus belle, que l’on exige du romancier « des apothéoses creuses, de grands sentimens faux, des formules toutes faites et un étalage de dissertations morales. » M. Zola se moque lorsqu’il prétend qu’on lui demanderait « de sortir de l’observation et de l’expérience pour baser ses œuvres sur l’irrationnel et le surnaturel » ou « de s’enfermer dans l’inconnu sous le prétexte stupéfiant que l’inconnu est plus noble et plus beau que le connu. » Lui, qui trouve qu’on adresse au naturalisme des « reproches bêtes », de quel adjectif nous permettra-t-il de qualifier cette définition de l’idéalisme ? M. Zola nous dira-t-il du moins en quoi Valentine est « basée sur le surnaturel, » ou Indiana sur « l’irrationnel ? » Lui plaira-t-il de nous montrer quelque jour un étalage de dissertations morales dans Colomba ou dans Arsène Guillot ? des formules toutes faites et de grands sentimens faux dans la Petite Comtesse ou dans Julia de Trécœur ? je le tiens quitte des apothéoses creuses ; c’est encore de ces expressions qu’il ne m’est pas donné de comprendre. A. quoi riment tous ces grands mots ? quel est le mannequin qu’on se forge pour adversaire ? et, comme dit l’autre, « qui trompe-t-on ici ? » Non ! il n’est question ni de « surnaturel, » ni « d’irrationnel ; » il n’y