le Marquis de Villemer dans le premier cas, si vous êtes Georges Sand, et si vous êtes Balzac, dans le second vous écrirez la Cousine Bette. Tout au plus conseillerai-je alors à M. Zola de ne pas aborder le théâtre, parce que le théâtre vit d’action, et qu’agir, c’est combattre, c’est lutter contre les personnes ou se révolter contre la domination des choses. Mais le roman ? pourquoi ne serait-il pas ce roman que M. Zola n’a jamais réalisé, mais enfin qu’il rêve ou qu’il croit rêver ? le roman d’observation et d’expérimentation, si l’on tient à ce mot mal appliqué ? le roman enfin dont Balzac nous aurait légué des modèles, si Balzac avait su seulement écrire dans une langue voisine du français, et dont M. Flaubert aurait fixé les règles, si des dieux jaloux n’avaient pas refusé ce bonheur à M. Flaubert de nous donner une seconde Madame Bovary ? Vous choisissez un caractère, ou, comme vous dites, un tempérament ; vous en voulez « démonter et remonter le mécanisme ; » vous prétendez chercher « ce que telle passion, dans tel milieu et dans telles circonstances données produira au point de vue de l’individu et de la société ? » Je le veux bien. Sans doute, puisque vous y tenez, je vous fais remarquer en passant que si l’homme n’est pas libre, il croit l’être, que les sociétés de l’Occident sont fondées sur cette croyance, — hypothèse, préjugé métaphysique ou superstition religieuse, — comme il vous plaira de l’appeler, et que par conséquent vous éliminez du roman expérimental ce qu’il y a peut-être de plus intéressant pour l’homme et de plus vivant, au plein sens du mot ; à savoir, la tragédie d’une volonté qui pense. Mais comme il y a parmi nous des volontés faibles et des volontés nulles, comme nous sommes plus souvent dans la vie quotidienne les esclaves de nos désirs que les maîtres de nos volontés, vous en serez quitte pour avoir sacrifié de parti-pris un élément parmi les élémens de l’intérêt romanesque. Il y avait sept cordes à la lyre, vous en supprimez une, il n’en est que cela. Il n’en reste pas moins bien des airs encore que vous pouvez jouer. Et si votre roman m’intéresse d’une manière ou d’une autre, et je le répète, il n’y a pas de raison pour qu’il ne m’intéresse pas, ne vous flattez pas que j’aille résister contre mon émotion et « que le plaisir de la critique m’ôte celui d’être très vivement touché de très belles choses. » Donnez-moi ces belles choses d’abord et nous verrons ensuite. Mais ne déplaçons pas les questions. Quand on vous parle roman, de grâce, ne répondez pas métaphysique ou physiologie. Si vous n’avez pas attrapé le but et que l’œuvre soit manquée, les plus savantes théories du monde n’y feront rien ; tâchez seulement d’être, une autre fois, plus heureux. Et ne vous étonnez pas que nous refusions de prendre le change en refusant de voir en vous le champion d’un système : vous n’en êtes que la victime, et votre talent est dupe de votre philosophie.
M. Zola se trompe encore quand il croit qu’on lui ferait un reproché de vouloir nous intéresser aux amours de Coupeau le zingueur et de Gervaise la blanchisseuse ? Et pourquoi non ? C’est à lui de savoir s’y prendre.