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fabricant, négociant, décidant des aptitudes de chacun, les utilisant et les rémunérant ; l’égalité dans la médiocrité, plus de riches ni de pauvres : comme conclusion une loi morale nouvelle ; comme sanction la toute-puissance collective supprimant l’individualité.

Et ce n’étaient pas là de pures spéculations écloses dans un cerveau d’idéologue, mais bien des réalités immédiatement appliquées et maintenues avec une invincible opiniâtreté. L’empereur en était devenu l’adepte le plus fervent. Il avait délégué toute autorité à Wang-ngan-Ché, et ce dernier en usait avec toute l’intrépidité d’un sectaire convaincu. D’une extrémité de la Chine à l’autre, ce fut un concert de louanges et d’admiration. Les riches se taisaient, ils étaient en minorité et n’avaient qu’une préoccupation : se cacher dans la foule et se faire oublier, si possible. L’impôt qui pesait sur eux était calculé de façon & ce qu’en moins de cinq ans il ne leur restât rien.

Dans ce silence des intérêts lésés et des classes menacées, une seule voix se fit entendre ; c’était encore et toujours celle de Ssé-ma-Kpuang. Du fond de sa retraite, il adressa à l’empereur une supplique remarquable, dans laquelle, passant en revue les mesures décrétées et appliquées, il exposait avec une rare modération et un réel courage les résultats auxquels elles devaient aboutir. Après avoir examiné et condamné hautement, au nom du bon sens, le rôle de l’état unique exploitant, il critiquait ainsi, au nom de l’expérience, les mesures agraires : « On prête au peuple les grains qu’à doit confier à la terre, et le peuple les reçoit avec avidité, j’en conviens ; mais en fait-il toujours l’usage pour lequel on les lui livre ? C’est avoir bien peu d’expérience que de le croire ; c’est connaître bien mal les hommes que de les juger ainsi. L’intérêt présent est ce qui les touche d’abord ; ils ne s’occupent pour la plupart que des besoins du jour. Il en est bien peu qui se mettent en peine de prévoir l’avenir, »

Entrant ensuite dans le détail des faits, il démontrait sans peine que les cultivateurs commençaient par prélever sur les grains qu’on leur remettait ce qui était nécessaire à leur nourriture et à celle de leur famille, chose assez naturelle pour des gens qui mouraient de faim ; puis ils en vendaient ou en échangeaient une partie pour se procurer les objets dont ils manquaient, le surplus seul, c’était peu de chose, les dernières récoltes le prouvaient, était confié à la terre. Ce système, que l’on préconisait si fort, n’était pas nouveau, et l’on pouvait facilement se rendre compte des résultats qu’il avait donnés là ou on l’avait essayé : « Je suis natif de la province de Chensi, disait-il en terminant, j’y ai passé la première partie de ma vie et j’ai vu de près les misères du peuple. Eh bien, j’ose affirmer que de dût parties des maux qu’il souffre il faut en attribuer au