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changer le cours des choses ? Espérez-vous que la nature s’impose pour vous d’autres lois ? — Bien à plaindre, répliqua Ssé-ma-Kouang, sont les souverains lorsqu’ils ont à leurs côtés des hommes qui osent affirmer de pareilles maximes et détruire en eux la crainte de la colère céleste. Quel frein pourra donc les retenir et les arrêter dans leurs désordres ? Maîtres absolus du monde, quel usage ne feront-ils pas de leur autorité le jour où ils penseront pouvoir tout faire impunément ? Ils se livreront sans remords à tous les excès et leurs sujets les plus dévoués n’auront plus aucun moyen de les faire rentrer en eux-mêmes. »

Le novateur l’emporta. Chen-Tsoung revint sur sa résolution, et, cédant aux volontés de son ministre, exila les principaux chefs du parti religieux. Ssé-ma-Kouang voyait se briser entre ses mains l’arme sur laquelle il comptait le plus. Abandonnant la cour, il se retira dans son palais d’été, laissant le champ libre à son adversaire.

Désormais tout-puissant, Wang-ngan-Ghé se mit à l’œuvre. Proclamant l’état souverain, seul propriétaire et universel exploitant, il décréta l’établissement de tribunaux d’agriculture, un par distrait, chargés de répartir annuellement entre les cultivateurs les terres labourables, de décider du genre de culture qui convenait à chacune et de distribuer les grains nécessaires pour les ensemencer. Le produit appartenait à l’état, qui devait en régler le partage proportionnellement aux besoins et au chiffre de la population. Pour se procurer les sommes nécessaires à la mise en œuvre de ce projet et pour supprimer graduellement l’inégalité des fortunes et des conditions, Wang-ngan-Ché décida que les tribunaux imposeraient une taxe spéciale sur les riches ; les pauvres étaient exempts. Les magistrats désigneraient, sans appel, qui était riche et qui était pauvre. L’état avait seul qualité pour fixer journellement le prix dès denrées. En cas de disette ou de mauvaise récolte sur tel ou tel point, le grand tribunal agricole siégeant à Péking, et duquel relevaient tous les autres, était investi des pouvoirs nécessaires pour faire affluer dans les districts éprouvés le surplus des grains des provinces mieux favorisées. Les rapports des tribunaux d’agriculture devaient tous aboutir à ce tribunal suprême qui, ainsi tenu au courant des besoins de chacun des districts, avait mission d’y pourvoir. De cette façon, disait l’édit, il n’y a plus de famine à redouter et les subsistances se maintiendront toujours à un prix modique. Dans les années prospères, on mettra de côté dans d’immenses magasins répartis sur toute la surface de l’empire une portion de la récolte pour parer au déficit d’une année universellement mauvaise. La misère cesserait ; il n’y aurait plus de pauvres en ce sens que la nourriture de chacun serait assurée. Quant à l’état,