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Le torrent l’emportait. Le novateur avait pour lui l’opinion publique et la séduction qu’il exerçait sur l’esprit du souverain. La cour se faisait l’écho des acclamations extérieures ; les ambitieux saluaient dans ce nouveau venu un soleil levant et le désarroi des esprits était tel que les plus graves personnages se ralliaient à ce fanatique, — qui ne doutait de rien et semblait posséder les secrets de l’avenir. Chen-Tsoung ne tarda pas à lui confier le pouvoir. Ssé-ma-Kouang vaincu dut abdiquer ses fonctions, mais conserva celles de membre du conseil de l’empire, bien résolu à attendre l’heure favorable pour entrer en lutte avec son heureux rival.

A la suite du réformateur marchait toute une phalange de disciples, hommes jeunes, lettrés, imbus des préceptes du maître, avides de nouveautés hardies et auxquels il inspirait un dévoûment sans limites. Il leur ouvrit les portes de l’administration, les appela aux emplois les plus élevés, leur confia la direction des provinces, la magistrature, l’enseignement, l’armée et commença l’exécution de ses plans.

S’il pouvait, comme il l’affirmait, rendre à la Chine l’abondance et la prospérité, il n’était que temps. L’année 1069 s’annonçait désastreuse. Des maladies épidémiques, des tremblemens de terre, une sécheresse effroyable, la famine, sévissaient dans les provinces les plus populeuses ; la misère était à son comble. Loin de diminuer son prestige, ces calamités l’augmentaient ; plein de confiance en lui-même, il annonçait le remède prochain.

Ssé-ma-Kouang tenta un nouvel effort. A son instigation, les censeurs s’autorisèrent des malheurs publics pour inviter, suivant l’usage, le souverain à examiner s’il n’y avait pas dans sa conduite quelque acte répréhensible, et, dans le gouvernement quelques abus à réformer qui eussent provoqué la colère divine. Chen-Tsoung, se conformant aux traditions, crut devoir témoigner de sa douleur en se renfermant dans son palais et en interdisant les fêtes. Ce n’était pas l’avis de Wang-ngan-Ché, qui n’avait pas été consulté. La question était purement religieuse, et l’empereur se conformait aux rites établis, mais le nouveau ministre n’entendait pas qu’aucune mesure fût prise en dehors de lui ; il devinait d’où partait le coup, et, jaloux de son autorité, décidé à l’affirmer et à rompre en visière avec des traditions qui pouvaient, à un moment donné, ramener l’empereur sous une influence qui lui était hostile, il convoqua le conseil de l’empire. Ssé-ma-Kouang y assistait, l’empereur présidait. Dans un discours audacieux, le ministre demanda à Chen-Tsoung de revenir sur sa décision : « Ces calamités qui nous poursuivent, dit-il, ont des causes fixes et invariables ; les tremblemens de terre, les sécheresses, les inondations, la famine n’ont aucun rapport avec les actions bonnes ou mauvaises des hommes. Espérez-vous donc