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Étangs ne devaient faire ainsi qu’une seule et même ligne d’eau, qui allait mettre en communication le Rhône avec la Garonne, comme on avait joint naguère l’Océan à la Méditerranée par le canal des deux mers. Le projet du maréchal de Noailles se présentait donc comme le complément indispensable du « canal roïal du Languedoc. » C’était prendre le roi par son faible. On sait, en effet, combien la grande entreprise du canal du Midi avait tenu à cœur à Louis XIV, et de quelles faveurs il avait entouré l’habile ingénieur Riquet, qui en avait dirigé l’exécution. — Colbert surtout le considérait comme une des œuvres les plus glorieuses du règne, et l’illustre Vauban, qui le visitait par ordre du roi, en 1690, pour y mettre la dernière main, s’écriait plein d’enthousiasme : « Je donnerais tout ce que j’ai fait et tout ce qui me reste à faire pour avoir exécuté ce chef-d’œuvre. »

Ce n’est pas que l’idée fût neuve en elle-même et n’eût été plusieurs fois émise. Tacite raconte même que, vers l’an 18 de notre ère, les Romains, maîtres de la Gaule, avaient cherché à relier la Moselle avec la Saône, ce qui permettait de passer du Rhin au Rhône, c’est-à-dire des eaux de l’Océan dans celles de la Méditerranée. On peut lire aussi dans les Mémoires de M. de Basville, intendant de la province de Languedoc, que Charlemagne avait conçu un projet analogue ; mais ce ne furent, à vrai dire, que des rêves de conquérant dont il ne nous est resté aucune trace d’exécution pratique. Ce fut sous François Ier seulement que l’on commença quelques opérations sur le terrain ; et on trouve dans un curieux ouvrage de 1613 de Charles Bernard, intitulé « la Conjonction des mers, » le récit de la visite que les commissaires du roi firent à Toulouse en 1539, où ils ordonnèrent à des « personnes d’expérience » de dresser le plan d’un canal pour la jonction de la mer de Narbonne avec l’Océan « aquitanique. » Le plan existe encore, et le devis des travaux est conservé dans les registres du conseil de l’hôtel de ville. Mais bien que ce projet, considéré alors comme chimérique, ait été presque aussitôt repoussé que proposé, l’idée n’en resta pas moins. Les députés de Languedoc à l’assemblée des états-généraux, tenue à Paris en 1614, ne manquèrent pas de mentionner, dans le cahier qu’ils déposèrent entre les mains du roi, tous les avantages que le pays devait retirer de l’ouverture du canal de François Ier. Depuis lors, la question fut toujours à l’étude ; et, pendant le règne de Louis XIII, de nouveaux projets furent élaborés pour mettre Toulouse et la Garonne en communication, tantôt avec la rivière de l’Aude, tantôt avec celle de l’Hérault ; car on hésitait beaucoup entre diverses solutions, et on ne savait pas encore si l’on donnerait pour tête de ligne au canal le port de la Nouvelle dans l’étang de Sigean, celui de la Franqui dans les lagunes de