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proposa à la cour de faire étrangler la sorcière. Au parlement il y eut la même indécision[1] ; douze juges votèrent contre Girard, et opinèrent pour le bûcher ; les treize autres l’acquittèrent. La Cadière aussi fut acquittée, et dut être, selon les termes de l’arrêt, rendue à sa mère. Cet arrêt était juste, et c’est bien à tort que Michelet, dont la passion contre les jésuites a défiguré ce bizarre procès, s’indigne du jugement rendu. Girard était coupable de libertinage, d’inceste spirituel envers sa pénitente, comme on disait alors. Soit ! mais, franchement, a-t-on le droit de brûler pour ce délit ? Il semble donc que la cour d’Aix ait bien jugé. On peut cependant s’étonner qu’au XVIIIe siècle il se trouve dans un parlement de France douze juges sur vingt-cinq pour condamner au bûcher un prêtre magicien. Telle fut l’issue de la dernière accusation de sorcellerie, pâle reflet de celles d’autrefois. Mais quelle étrange analogie entre ces terribles procès ! Le prêtre Gaufridi est accusé de magie par une religieuse folle, et meurt sur le bûcher. Le prêtre Grandier est accusé de magie par toutes les religieuses d’un couvent, folles et hystériques, et meurt sur le bûcher ; le prêtre Boullé est accusé de magie par une religieuse folle, et meurt sur le bûcher ; le prêtre Girard est accusé de magie par une religieuse presque folle, et il s’en faut d’une voix au parlement d’Aix pour qu’il expie sur le bûcher sa sorcellerie imaginaire.


Maintenant, jetant un coup d’œil en arrière, considérons dans leur ensemble les idées qui ont régné dans le monde sur la sorcellerie et la possession diabolique. Dès les temps antiques, nous trouvons établie cette croyance que certaines maladies, caractérisées par des convulsions et des mouvemens furieux, sont envoyées par une divinité vengeresse. Acceptée par Hippocrate, cette opinion est réfutée par Galien, qui n’admet pas les causes surnaturelles. Elle persiste cependant dans la conscience populaire à travers toutes les vicissitudes religieuses, politiques et sociales, vaguement admise par les prêtres et les savans du moyen âge, jusqu’au milieu du XIVe siècle. À cette époque, l’adoration et la crainte du diable grandissent, se développent, triomphent. Les démoniaques pullulent. Les exorcistes redoublent leurs conjurations. Des populations tout entières s’imaginent être livrées au démon. La grande conception fantastique du sabbat prend naissance. Les sorciers et les sorcières, complices de Satan, sont partout, comme Satan lui-même.

  1. Voyez la curieuse note imprimée dans la suite du cinquième volume : Jugement du procès criminel entre le père Girard, jésuite, et la demoiselle Catherine Cadière.