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sont logés dans le corps des religieuses de Louviers, et ces diables reconnaissent Boullé comme leur chef ; 4° il a été surpris dès l’aube en compagnie d’un fantôme qui ressemblait étrangement au diable ; 5° il éprouve des attaques de nerfs en disant la messe ; 6° il guérit les maux de dents ; 7° il se complaît à lire des livres dont la couverture est enfumée. Appliqué à la question extraordinaire, Boullé n’avoue rien, mais son crime est si évident qu’il n’a pas besoin d’être confessé pour être reconnu. Le malheureux est condamné. Reproduisons une partie de cet arrêt mémorable.

Extrait des registres de la cour du parlement : « La cour a déclaré et déclare Mathurin le Picard et Thomas Boullé dûment atteints et convaincus des crimes de magie, sortilège, sacrilège, et autres impiétés, et cas abominables commis contre la majesté divine. Pour punition et réparation desquels crimes ordonne que le corps dudit Picard et le dit Boullé seront ce jour d’hui délivrés à l’exécuteur des sentences criminelles, pour être traînés sur des claies par les rues et lieux publics de cette ville, et étant le dit Boullé devant la principale porte de l’église cathédrale Notre-Dame, faire amende honorable, tête, pieds nus et en chemise, ayant la corde au col, tenant une torche ardente du poids de 2 livres, et là demander pardon à Dieu, au roi et à la justice ; ce fait, être traîné en la place du vieil marché, et là, y être le dit Boullé brûlé vif, et le corps du dit Picard mis au feu, jusques à ce que les dits corps soient réduits en cendres, lesquelles seront jetées aux vents. Fait à Rouen en parlement, le vingtième et unième jour d’août 1647. »

L’exécution eut lieu, — singulier rapprochement, — sur la place même où Jeanne d’Arc avait été brûlée deux siècles auparavant.

Boullé fut une des dernières victimes de la croyance au diable. En 1674, dans le pays de Vire, quelques paysans, à moitié fous, accusèrent les sorciers de leur avoir jeté un sort. L’affaire alla devant le Parlement de Rouen, qui condamna les prétendus sorciers à la peine de mort. Heureusement les mœurs avaient changé, à Versailles, sinon à Rouen. Un édit de Colbert, transformant la peine capitale en bannissement perpétuel, défendit aux tribunaux d’admettre dorénavant l’accusation de sorcellerie. Le parlement crut nécessaire de faire au roi une vigoureuse remontrance, « L’Écriture prononce des peines de mort contre ceux qui commettent le sortilège. Ç’a été le sentiment général de toutes les nations de condamner les sorciers au dernier supplice, et tous les anciens en ont été d’avis. En France même, tous les arrêts de justice depuis Grégoire de Tours jusqu’à de Lancre condamnent les sorciers jusqu’à la mort. » Cette remontrance n’eut aucun succès, et fort heureusement Louis XIV maintint sa décision.

Tout n’est pas fini cependant avec la sorcellerie. Elle reparaît en