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chambre, et Lucifer me prenoit, et en un instant, je me trouvois transporté au sabbat, y demeurant quelquefois une, deux, trois, quatre heures. » On chercha sur son corps la marque du diable. Quand on lui ôta le bandeau placé devant ses yeux, il apprit avec horreur que par trois fois on avait enfoncé l’aiguille sans qu’il la sentît. Donc il était trois fois marqué du signe de l’enfer. L’inquisiteur ajouta : « Si nous étions en Avignon, cet homme seroit brûlé demain. »

Il fut brûlé. Le 30 avril 1611, à Aix, à cinq heures du soir, Louis Gaufridi, prêtre bénédictin en l’église des Accoules, fut dégradé. Le bourreau le conduisit en face de la grande porte de l’église ; là, il dut demander pardon à Dieu, au roi et la justice. Sur la place des Prêcheurs, le bûcher était dressé. Le malheureux y monta, et quelques minutes après il n’était plus que cendres.

Trois religieuses que le délire de Louise et de Madeleine avait gagnées, et qui étaient atteintes d’accès démoniaques, finirent par guérir. Il n’en fut pas de même des deux principales héroïnes de ce drame. Madeleine de la Palud, devenue complètement folle, sortit du couvent. On la voyait marcher les pieds nus dans les rues de Carpentras, où elle demandait l’aumône de porte en porte. Quant à Louise, elle continua ses dénonciations. Les révélations de Verrine, son diable, firent brûler une pauvre fille aveugle nommée Honorée.

Le XVIIe siècle commençait par de terribles cruautés, par les exécutions du pays de Labourd, de Logrono et la mort de Gaufridi. Mais les temps sont déjà changés. Au lieu d’exciter l’admiration générale, ces iniquités de la superstition provoquèrent la colère et le mépris, au moins des savans et des philosophes. C’est l’époque où Bacon fait paraître son grand ouvrage (1620), où Harvey régénère la physiologie (1620), où Descartes prépare son Discours de la Méthode. Quelle singulière contradiction entre ces livres immortels et les compilations de sottises qui avaient, il y a vingt ans à peine, marqué le début du siècle (Le Loyer, Boguet, Bodin, de Lancre) ! Un jeune homme, âgé seulement de vingt-quatre ans, et qui plus tard devint célèbre, Gabriel Naudé[1], se fit l’interprète de tous ceux que la vieille crédulité n’aveuglait pas. Il entreprit de justifier les magiciens. Ce qu’on appelle la magie n’est rien qu’un fatras absurde. Virgile n’a jamais été un sorcier, Raymond Lulle, Arnaud de Villeneuve, Paracelse, sont des savans et non des magiciens. Agrippa lui-même, le plus expert enchanteur de nos derniers temps, n’est pas un nécromancien, un adepte de Satan,

  1. Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement soupçonnés de magie ; à Paris, chez François Targa, 1625.