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dans les mêmes pièges connus ? « Le jeune oiselet, deux ou trois fois se laisse prendre ; mais c’est en vain qu’on tend l’arc ou les lacs alors que les plumes lui ont poussé... » Ce n’est qu’après avoir ainsi fait mesurer au cher égaré toute la profondeur de sa chute, lui avoir fait « baisser les yeux comme un enfant qui reconnaît ses torts » et recueilli de sa bouche la confession la plus navrante, qu’elle se réconcilie avec lui et lui entr’ouvre les trésors de l’amour divin. Elle le transporte à travers les sphères célestes, à travers les planètes ; elle lui fait contempler la demeure des bienheureux, des anges et des archanges, elle lui fait comprendre les plus sublimes mystères ; arrivés à l’empyrée, elle lui jette un dernier regard et reprend sa place dans la gloire des saints, dans la rose flamboyante ; mais là encore il la voit « joindre les mains » et prier pour lui[1]...

Dans ce rôle de guide céleste et d’interprète des saints dogme ?, la fille de Folco Portinari prend à certains endroits des proportions tout à fait transcendantes ; elle semble parfois être comme la personnification absolue de la connaissance divine, du suprême savoir, — et deux siècles plus tard, lorsque Raphaël voudra peindre la figure allégorique de la Théologie dans sa célèbre Stanza du Vatican, il la dessinera telle qu’apparut Béatrice à Dante dans le Paradis terrestre.

LE MARCHESE ARRIGO :

Sovra candido vel, cinta d’oliva,
Donna m’ apparve, sotto verde manto,
Vestita di color di fiamma viva<ref> Purgat., XXX, 31-33. </<ref>.

L’ACADEMICIEN. — Elle est, dans cette dernière et suprême apothéose, « la donna di virtù par qui l’espèce humaine pénètre au delà des choses sublunaires ; elle est la lumière qui s’interpose entre la vérité et l’intelligence : »

Che lume fia tra ’l vero e l’ intelletio[2].

Et remarquez bien, ici comme partout ailleurs, ce constant syncrétisme de l’amour et de la lumière qui est la pensée cardinale du Cosmos dantesque ! Mais remarquez aussi que, tout en étant l’ange gardien et le guide céleste de son amoureux d’autrefois, Béatrice n’en demeure pas moins ingénument sa muse et son inspiratrice pour le « poème sacré. » C’est elle qui, pour le conduire à

  1. Parad., XXXIII, 38-39.
  2. Inf., II. 76-77. — Purgat, VI, 45.