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je pusse traiter d’elle tout à fait dignement. Et, pour en venir là, j’étudie autant que je puis, comme elle le sait très bien. Aussi, dans le cas où il plairait à Celui par qui toutes choses existent que ma vie se prolongeât, j’espère dire d’elle ce qui jamais encore n’a été dit d’aucune autre... »

Engagement bien superbe dans son humilité très chrétienne, mais que l’auteur de la Divine Comédie tiendra encore un jour avec éclat, en combinant merveilleusement deux idées splendides d’un mérite inégal, à coup sûr, mais d’une poésie également transcendante : l’idée platonicienne de l’amour et l’idée catholique de la communion des saints... Connaissez-vous, en effet, quelque chose de plus poétique que cette doctrine de notre foi sur la communication mutuelle d’intercessions et de prières entre l’église triomphante, l’église souffrante et l’église militante ; connaissez-vous quelque chose de plus sublime que ce dogme de l’union entre les saints qui sont dans le ciel, les âmes qui souffrent en Purgatoire et les fidèles qui vivent sur la terre ? Tout est commun dans l’église : prières, bonnes œuvres, grâces, mérites ; « nous sommes tous un seul corps et membres l’un de l’autre, dit saint Paul ; qu’il n’y ait donc pas division dans ce corps, mais que les membres aient soin l’un de l’autre[1]. » Ces liens de la charité que notre religion a noués autour des deux mondes, visible et invisible, ce système magnanime d’assurance réciproque qu’elle a voulu établir entre la vie et la mort, Dante n’a eu garde de les négliger clans son épopée catholique. Ai-je besoin d’insister sur le parti immense qu’il a su tirer d’une pareille donnée, sur les scènes d’un pathétique grandiose qu’il a évoquées en vertu de cette croyance ? Rappellerai-je les épisodes émouvans et inoubliables de Manfred, de Buonconte, de Sordello, de Malaspina, de Hugues Capet, de Forese Donati, de Guinicelli, de Cacciaguida ? A chaque pas de son pèlerinage fantastique, le poète est arrêté par des âmes qui implorent les oraisons de leurs proches et de leurs parens demeurés en vie : « c’est que de bonnes prières peuvent raccourcir le décret d’en haut, et que l’on avance beaucoup ici par ceux qui sont là-bas[2]. » A chaque pas aussi il est interrogé sur les faits et gestes des êtres chéris qui n’ont pas encore franchi le seuil de l’éternité : ces âmes du Purgatoire, « papillons angéliques, volant désarmés au-devant de la justice, » que de touchante sollicitude ils témoignent partout pour les pauvres chrysalides restées sur terre ! Car, si les mauvais penchans s’épurent dans ces lieux d’expiation, les bons sentimens d’autrefois s’y affinent à leur tour.

  1. Aux Romains, XI, 5. — I aux Cor. XII, 25.
  2. Purgat., III, 136-145.