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les Saggi de Foscolo ; souffrez que je vous en lise une simple page, cette feuille sur laquelle Pétrarque a noté de sa propre main la gestation et l’accouchement d’un seul petit sonnet :


J’ai commencé ce sonnet avec l’aide de Dieu, le 10 septembre, à l’aube, après mes prières du matin, — Il faudra refaire ces deux vers en les chantant, et en renverser l’ordre. Trois heures du matin, 19 octobre, — Ceci me plaît. 30 octobre, 10 heures du matin. — Non, ceci ne me plaît pas. 20 décembre, soir, — Il faudra revenir là-dessus ; on m’appelle à dîner. — 18 février, vers les 9 heures : Maintenant cela va bien ; il faudra cependant y voir encore...


A l’âge de soixante-quatre ans, le 19 mai 1368, ainsi qu’il a de nouveau soin de le consigner de sa propre main, il se lève par une nuit d’insomnie et refait un sonnet composé vingt-cinq ans auparavant sur le gant de Laurel. . Croyez après cela à la « furie amoureuse » dont Pétrarque se disait dévoré et qui débordait de son cœur en vers inspirés ! Croyez aussi à la passion de Tasse pour Léonore, après avoir pris connaissance de certain stratagème suggéré au poète par la princesse elle-même pour réussir auprès de la donna Bendidio, sans éveiller les soupçons du chevalier Pigna !

Car pourquoi n’irais-je pas jusqu’au bout dans ma rudesse de barbare et ne vous confesserais-je pas ingénument que la vraie passion, la passion franche et grande, me semble presque toujours faire défaut à votre poésie amoureuse, à celle même de vos plus grands génies ? Je trouve dans leurs sonnets et canzones beaucoup d’art, beaucoup plus d’artifice encore, mais bien peu d’un sentiment profond et sincère. Tasse joue sur les mots Léonore et le onore, comme joue Pétrarque sur Laure et laurier, comme joue Dante sur le nombre neuf au sujet de Béatrice : tous ils jouent avec le feu qui est censé les consumer, tous ils se complaisent et se mirent dans leur langueur, dans leur douleur et dans leurs pleurs. C’est en somme un mal bien porté que ce « mal d’amour » dont vos poètes ne cessent de se plaindre, à peu près comme les jouisseurs se plaignent de leur goutte, — vivant longtemps et mourant d’un accident qui d’ordinaire n’a rien de commun avec leurs souffrances chroniques. Ah ! que les quatre terzines de la Francesca sur le premier et fatal baiser contiennent plus de poésie, de passion et d’émotion que tous les sonnets de la Vita nuova ! Que de vérité, que de douleur, que de pudeur dans ce court récit arraché à la tempête infernale, et qui laisse une tempête dans notre âme, et combien je préfère à tel gros Canzoniere ces douze vers tout empreints de larmes qui jamais ne sécheront !

Je comprends qu’on subisse les séductions de la muse érotique