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Non ti dovea gravar le penne in giuso,
Ad aspettar più colpi, o pargoletta,
O altra vanità con si brev’ uso.

Nuovo augelletto due o tre aspetta ;
Ma dinanzi dagli occhi de’ pennuti
Rete si spiega indarno, o si saetta[1].

L’ACADEMICIEN. — Qu’il me soit permis de faire encore une dernière observation. Ce n’est pas une étude des moins attachantes que de suivre dans la Divine Comédie, et d’y bien marquer le degré d’intérêt intime que montre le poète en face des diverses misères de l’humaine nature dont il déroule devant nous le tableau émouvant et sinistre : il est aisé de reconnaître alors que Dante prend une part vibrante et pathétique aux souffrances et aux expiations des réprouvés ou des repentis, là surtout où sa conscience est mise pour ainsi dire en demeure et en éveil, devant ces scènes, en un mot, qui lui représentent les passions et les vices dont il sent les ronces dans son propre sein. Rien de plus caractéristique à cet égard que certain passage du Purgatoire[2], où se trouvant dans le cercle des envieux, le poète affirme que son séjour dans ce lieu, après la mort, ne sera point de longue durée, mais qu’il recloute bien plus les tourmens de là-dessous, — tormento di sotto, — c’est-à-dire du cercle où s’expie l’orgueil. Une nature comme celle d’Alighieri pouvait se dire en effet au-dessus du sentiment mesquin de l’envie, mais elle n’était point certes exempte d’orgueil, et c’est l’âme oppressée, — l’anima carca[3], — que le poète confesse avoir traversé la région des superbes. Nous tromperions-nous beaucoup en reconnaissant de même un accent personnel, et comme une morsure de la conscience dans la confusion extraordinaire de Dante à la vue de ceux qui ont péché par la colère, ou dans la rougeur qui couvre son visage alors que Virgile le reprend de se complaire trop aux outrages et aux injures que se lancent entre eux les misérables damnés[4] ? Qu’elle est fine, la leçon que se fait donner ainsi par son doux maître celui-là même qui a élevé l’invective jusqu’à la hauteur du génie ! Nulle part toutefois l’émotion du poète ne nous apparaît aussi grande, le trouble de son âme plus profond et plus douloureux, que dans les deux cercles de l’Enfer et du Purgatoire où sont punis les égaremens de la chair : il s’évanouit dans le premier de ces cercles, et s’affaisse « comme un corps mort qui tombe ; »

  1. Purgat., XXXI. 49-63.
  2. Purgat., XIII, 133-138.
  3. Purgat., XII, 2.
  4. Inf., XXX, 130 et seq.