Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/723

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
THÉÂTRE DU GYMNASE.

Le Fils de Coralie, comédie en 4 actes, de M. Albert Delpit.


La question a été souvent posée de savoir s’il y a profit ou perte pour un ouvrage d’imagination à revêtir la forme de drame ou de comédie, après qu’il s’est une première fois coulé dans le moule d’un récit, nouvelle ou roman proprement dit. De fait, il paraît malaisé qu’après avoir conçu le développement d’un certain nombre de caractères d’une façon toute psychologique et analytique, un auteur reprenne en sous-œuvre ce premier travail et incarne ses personnages dans une action toute dramatique et synthétique. Mais n’arrive-t-il pas aussi qu’un sujet d’un intérêt saisissant apparaisse à un écrivain sous une forme mixte, si l’on peut dire, qui soit à la fois drame ou roman et unisse dans une mesure à peu près égale les qualités de ces deux genres ? Il est certain que le Fils de Coralie a dû se présenter dans ces conditions-là à l’imagination de M. Albert Delpit, et en donnant tour à tour à sa conception la forme de la comédie et la forme du récit, l’auteur n’a eu à exécuter aucune de ces mutilations forcées qui font trop souvent regretter les détails d’un beau roman devant une pièce médiocre qui en est tirée. L’œuvre qui vient de remporter au Gymnase un éclatant succès d’émotion est identiquement l’œuvre qui avait charmé déjà les lecteurs de la Revue. Il n’y a de changé, si l’on peut dire, que la mise en scène. Les descriptions qui encadraient le dialogue ont cédé la place à de vrais décors. Les portraits se sont détachés des pages pour s’incarner dans des acteurs vivans, — mais le dialogue nerveux et pathétique, mais le développement des passions, mais tout ce qui faisait, en un mot, la moelle et la force du livre se retrouve entier dans la pièce.

Analyser la comédie, ce serait donc analyser le roman, besogne inutile, puisque l’aventure de ce chevaleresque et hardi Daniel est dans la mémoire de tous nos lecteurs. Il nous parait plus intéressant de rechercher quelques-unes des causes qui viennent de valoir à M. Delpit les battemens de mains des spectateurs du Gymnase ; on ne trouvera pas qu’elles soient différentes de celles qui lui avaient conquis la sympathie des lecteurs du livre. Il y faut mettre en première ligne. la qualité maîtresse de M. Delpit, qui se résume d’un mot : l’action. L’économie de sa pièce, très nettement et très hardiment coupée, se distribue en une suite de situations dont chacune est un pas en avant, une étape nouvelle vers la situation finale. Aucune digression inutile