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qui seul aurait pu dire le dernier mot de l’alliance austro-allemande, s’est tenu dans une certaine réserve. Il s’est borné à constater que cette intimité n’avait rien de nouveau, qu’elle datait de quelques années déjà, qu’elle tenait à la communauté d’intérêts des deux empires, que M. de Bismarck et le comte Andrassy n’avaient fait que la cimenter cet automne, et qu’au total c’était une garantie de sécurité, une œuvre de paix européenne.

Il faut souhaiter, en effet, que l’Allemagne et l’Autriche se soient alliées pour la paix et rien que pour la paix. Ce qu’il y a cependant d’assez étrange et ce qui ajoute un singulier commentaire aux déclarations de M. de Haymerlé, c’est qu’avec cette alliance a coïncidé une recrudescence d’armemens dans les deux empires. Il y a peu de temps, le gouvernement autrichien demandait à ses chambres et a fini par obtenir ce qu’on a appelé le septennat militaire, un contingent permanent qui lui donne une force toujours disponible de 800,000 hommes. M. de Bismarck, à son tour, se met à l’œuvre, et il ne se borne pas à préparer, lui aussi, le renouvellement de son septennat militaire, qui va expirer d’ici à un an ; il propose ou réclame tout un ensemble de mesures destinées à accroître la puissance militaire de l’Allemagne, notamment par l’adjonction de 26,000 hommes, l’équivalent d’un corps d’armée, et par la création de 40 batteries d’artillerie. M. de Bismarck a imaginé un principe d’après lequel la force militaire d’un état doit être du centième de la population, et comme la population allemande a augmenté de plus de deux millions d’âmes depuis sept ans, l’armée doit être accrue dans la même proportion. Ce n’est pas plus sérieusement sans doute que le chancelier allemand invoque l’importance croissante des forces militaires de la Russie et de la France, le danger d’une attaque. En réalité M. de Bismarck a besoin de ces argumens pour vaincre les répugnances que soulève déjà, en Allemagne, cette aggravation de charges militaires ; il a besoin de tenir toujours suspendue cette menace des agressions étrangères et de rester en possession d’une prépondérance militaire incontestée pour garder son ascendant, sa position d’arbitre de l’Europe.

Ces jours derniers, un Allemand naïf demandait à M. de Moltke d’employer son influence à faire réduire l’effectif de l’armée ; M. de Moltke a répondu avec componction que rien ne serait plus désirable, mais qu’il fallait que tout le monde fût décidé à mettre un aux guerres et que cela « ne pouvait naître que d’une meilleure éducation morale et religieuse des peuples, résultat d’un développement historique de plusieurs siècles dont ni vous ni moi, ajoute le maréchal, ne serons témoins. » — Et voilà pourquoi, en attendant, princes et hommes d’état s’occupent à préparer la paix en s’armant jusqu’aux dents !


CH. DE MAZADE.