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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 janvier 1880.

C’est un fait certain, avéré, à peu près avoué par tout le monde, même par les complaisans et les optimistes, que depuis quelque temps il y a un peu partout un indéfinissable malaise, une incertitude croissante. De trouble extérieur, d’agitation ou de résistance, il n’y en a d’aucune espèce : le pays est plutôt passif, porté au repos et au travail paisible ; mais à travers tout il y a ce sentiment assez distinct, de plus en plus saisissable, que décidément la chose publique n’est pas en bonne voie, que le régime n’est pas en progrès, que les garanties de fixité et de durée vont en diminuant, que tout est faussé ou altéré. Il y a un mouvement prononcé de défiance et de découragement au spectacle de pouvoirs publics incohérens, occupés à se démener, à s’épuiser dans le vide, et la dernière crise ministérielle, qui est née en partie de cette confusion, a en même temps contribué peut-être à augmenter le mal. Elle a été une cause nouvelle d’incertitude en s’offrant aux uns comme une énigme de plus, aux autres comme une menace. Au fond de la province aussi bien qu’à Paris, parmi les hommes désintéressés, bien entendu en dehors de ces sphères artificielles où il est convenu qu’on ne voit rien, l’impression est la même. L’opinion n’en est point sans doute encore à une impatience irritée et à une réaction déclarée. Ce qu’elle a accepté, elle l’accepte encore ; elle n’en est pas à chercher un dénoûment, un autre avenir, elle est tout simplement agacée, inquiète et mécontente de ce qui existe, d’une certaine direction générale des choses, sans trop s’avouer du reste pour le moment ce qu’elle voudrait.

Toute la question est de savoir si c’est là un état accidentel, passager, dû uniquement à des circonstances momentanées, ou si c’est le commencement d’une crise destinée à devenir chronique et à s’aggraver en conduisant fatalement à des épreuves nouvelles. Eh ! sans doute, ce