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A l’aide de considérations tirées de la théorie des gaz que nous avons exposée au début de cette étude, ce nombre a pu être évalué. Il l’a été d’une façon très approximative sans doute ; car, dans des calculs de ce genre, il faut toujours faire la part de quelques données hypothétiques.

D’après les autorités les plus compétentes en cette matière, une boule de verre d’un diamètre de 0m, 135 renfermerait plus d’un septillion de molécules. Un septillion ! c’est un million multiplié trois fois par lui-même, c’est l’unité suivie de vingt-quatre zéros ; et si vous divisez cette quantité par un million, le quotient représentera le nombre de molécules d’air contenues dans la boule dont il s’agit, après que cet air y aura été raréfié à un millionième d’atmosphère. Ce quotient est un quintillion, c’est-à-dire un million multiplié trois fois par lui-même ; l’unité suivie de dix-huit zéros. N’avais-je pas raison de parler plus haut de légions innombrables de molécules, et l’esprit n’a-t-il pas quelque peine à concevoir de telles immensités, comme aussi à se figurer les petitesses inouïes des molécules matérielles ?

Une expérience finale de M. Crookes met en lumière toute la difficulté, mais aussi toute la grandeur de ces conceptions. Voici le même ballon de verre que nous avons considéré tout à l’heure : le vide y est fait à un millionième d’atmosphère. A l’aide d’une puissante étincelle, nous pouvons en percer la paroi, et la fente ainsi produite est si petite que pour l’apercevoir il faut armer l’œil d’une forte loupe. Mais par cette fente imperceptible les molécules de l’air extérieur vont se précipiter dans le ballon, et si nous supposions (supposition bien au-dessous de la réalité et qui n’est faite ici que pour donner une idée de ces. immensités) qu’en une seconde il puisse passer cent millions de molécules à travers la fente, savez-vous combien il faudra de temps pour que ce petit ballon se remplisse entièrement d’air à la tension ordinaire ? Sera-ce une heure, un jour, une année, un siècle ? Non, ce sera presque une éternité ; et en admettant que l’expérience ait commencé dans le temps où notre système solaire a été constitué, elle ne serait pas achevée lorsque le soleil, source abondante, mais non intarissable, de chaleur, de lumière et de force, se sera refroidi et éteint. Cette pensée et ces paroles sont de M. Crookes : je veux laisser le lecteur sous leur impression.


ADOLPHE WURTZ.