Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’on se figure un certain volume d’air ordinaire renfermé dans un espace clos, de la forme et de la capacité d’un multimètre cube, par exemple. Sous ce petit volume, l’air, formé de 4/5 d’azote et de 1/5 d’oxygène, contient, d’après la conception que nous venons de rappeler, des légions innombrables de molécules gazeuses, se mouvant en ligne droite avec une vitesse moyenne de 485 mètres par seconde. Leur nombre est tellement immense qu’à chaque instant elles se rencontrent, s’entrechoquent et rebondissent dans tous les sens, frappant dans toutes les directions les parois du vase qui les renferment. La tension de l’air ou d’un gaz quelconque, c’est-à-dire l’effort qu’il exerce contre les parois, est précisément le résultat de ces chocs multipliés, de ce bombardement moléculaire. Et telle est la vitesse avec laquelle ces mouvemens se propagent et se communiquent de proche en proche que la pression exercée par le gaz se transmet immédiatement dans tous les sens. Les distances librement parcourues par les molécules d’air, entre deux chocs, sont extrêmement courtes, à la température de 0° et sous la pression normale, car elles n’atteignent pas, d’après les calculs des savans les plus autorisés, un dix millième de millimètre, ce qui est une grandeur environ vingt-cinq fois plus petite que la plus petite grandeur visible au microscope. Mais lorsque la pression diminue, le nombre des molécules diminue dans la même proportion, et celles-ci, devenant plus libres dans leurs allures, peuvent alors parcourir des distances beaucoup plus grandes avant de s’entrechoquer ; en d’autres termes, dans une atmosphère raréfiée les chemins moléculaires ou distances de libre parcours s’allongent et peuvent atteindre plusieurs centimètres, lorsque la raréfaction de l’air est amenée à la millionième partie d’une atmosphère. Le vide absolu n’existe pas, ou du moins, ne peut pas être produit, et dans l’air amené au degré d’épuisement qui vient d’être indiqué il existe encore des myriades de molécules gazeuses, franchissant en ligne droite des distances relativement considérables et douées, par cela même, de propriétés nouvelles récemment découvertes par M. Crookes.

L’illustre inventeur du radiomètre, faisant sienne urne expression employée par Faraday dès 1816, a nommé matière radiante la matière encore répandue dans ces espaces que nous avions coutume de considérer comme vides et qui ne le sont pas en réalité. Par de brillantes expériences qu’il a faites au mois d’août de l’année dernière au congrès de Sheffield et qu’il vient de répéter à Paris à la faculté de médecine et à l’observatoire, avec le concours de M. Salet, M. Crookes a établi les propriétés de la matière radiante, pénétrant ainsi dans un domaine complètement inconnu avant lui et qui, marquant la limite des choses que l’on sait, touche à celles qu’on